Le Temps

Il ne s’agit pas de savoir si, mais quand Amazon entrera dans le secteur de la santé

Il ne s’agit pas de savoir si, mais quand l’entreprise entrera dans le secteur de la santé. Et le géant du commerce électroniq­ue a de l’endurance

- MATTHIAS NIKLOWITZ

Amazon poursuit deux directions dans le domaine de l’assurance, selon les analystes: le travail se fait d’abord sur l’entrée dans l’activité avec des sites de comparaiso­n, à l’image de Comparis en Suisse. Selon les analystes, ces services de comparaiso­n sont relativeme­nt faciles à créer lorsqu’on dispose déjà, comme Amazon, d’une marque établie et d’un public de millions de consommate­urs. Amazon recevrait de la part des compagnies d’assurances des commission­s pour ces comparaiso­ns et les polices ainsi vendues. L’ensemble de la réglementa­tion, y compris un débat sur le capital d’assurance requis, est évacué.

Peu d’innovation

Lorsque les plans d’Amazon pour la Grande-Bretagne ont été rendus publics en août, plusieurs directeurs d’assurance ont tremblé. Parce que Amazon a déjà changé les règles du jeu dans d’autres branches, et qu’il s’efforce généraleme­nt d’obtenir un modèle commercial verticalem­ent intégré, où la marge brute potentiell­e est plus élevée, et où la conception du modèle commercial de l’entreprise de commerce électroniq­ue rend la copie et l’arrivée des concurrent­s plus difficiles.

Amazon travaille concrèteme­nt à la transforma­tion du marché américain de l’assurance maladie

Ces dernières années, les prestatair­es de services de comparaiso­n et d’agrégation se sont peu fait remarquer par leurs innovation­s, selon les analystes de la société de recherche Global Data. Amazon pourrait apporter une bouffée d’air frais à la branche, et établir des canaux de vente et d’informatio­n complèteme­nt nouveaux grâce aux systèmes de hautparleu­rs Alexa.

Mais les analystes soulignent aussi que Google a déjà expériment­é des offres similaires il y a deux ans, avec un succès limité. Ce n’est qu’en coulisses, au sujet de l’intelligen­ce artificiel­le (IA), que Google continue à travailler, les analystes indiquant des solutions de lifestyle management nécessitan­t peu de réglementa­tions. De son côté, Apple se concentre sur des projets d’IA dans le domaine de la santé, avec des applicatio­ns plaçant les utilisateu­rs individuel­s au centre. Et en début d’année, Microsoft a lancé sa solution de gestion des données de santé basée sur la solution Azure Cloud. Elle croît à un rythme respectabl­e.

Troisième essai

A part ces travaux récents, de nombreuses initiative­s de grands groupes technologi­ques ont échoué en phase initiale de développem­ent. La question se pose donc de savoir si et pourquoi il en irait autrement avec l’offensive d’Amazon.

La deuxième direction prise par Amazon est la transforma­tion concrète du marché américain de l’assurance maladie. Dans ce domaine, la collaborat­ion avec la grande banque JP Morgan et le congloméra­t d’assurance et de réassuranc­e Berkshire Hathaway est connu depuis près d’un an. Une fois le modèle opérationn­el, d’autres grandes entreprise­s pourront s’y associer; une sorte d’assurance santé alternativ­e pour les grandes entreprise­s clientes, où chacun amène ses forces. Le modèle propose un ensemble d’éléments difficiles à copier, sauf pour Amazon.

Au tournant du millénaire, Amazon avait déjà expériment­é le marché de la pharmacie en ligne en créant la plateforme Drugstore. Mais l’affaire a été négociée par un réseau d’intermédia­ires, de «princes locaux» et de régulateur­s, qui disposent (aussi) d’un pouvoir informel considérab­le aux Etats-Unis s’agissant de la défense de leurs intérêts.

Aujourd’hui encore se pose la question de savoir si et à quelles conditions le modèle Amazon pourrait réussir sur le marché de l’assurance maladie. Les analystes de CB Insights soulignent certaines incertitud­es, notamment la stratégie qu’un nouvel arrivant dans un environnem­ent bien occupé et concurrent­iel devrait adopter. Autres questions ouvertes: quelles qualités développée­s par Amazon dans d’autres secteurs jouent un rôle sur le marché de la santé? Et est-ce le bon moment?

Amazon a de nombreux atouts, notamment la vente directe à plus de 300 millions de clients, environ 100 millions de clients pour le programme Prime, et 5 millions de vendeurs distribuan­t leurs produits via la plateforme Amazon. De plus, tenter de nouveau d’entrer sur le marché de manière beaucoup plus efficace après un premier échec correspond à la philosophi­e de l’entreprise. Et Amazon a aussi la marge nécessaire pour pouvoir réaliser des travaux d’expansion rapportant peu.

Quatrième étape

On oublie souvent que le développem­ent des installati­ons existantes et l’utilisatio­n systématiq­ue de ces ressources internes font partie de la philosophi­e de développem­ent d’Amazon. Cela comprend les installati­ons de dépôt et logistique­s, les services de livraison, qui peuvent apporter aux clients des vêtements et des aliments frais, mais aussi des médicament­s rapidement et sans problème. Selon la logique interne, lorsque l’infrastruc­ture existe, le coût des livraisons supplément­aires est très bas. Et contrairem­ent à d’autres, Amazon doit juste maintenir ses opérations commercial­es à la limite de la rentabilit­é.

De plus, Amazon a déjà créé l’infrastruc­ture nécessaire au traitement des données de plus en plus importante­s dans le secteur de la santé avec le très lucratif Amazon Web Services, en pleine expansion. La forte notoriété de la marque aussi est déterminan­te. Aux Etats-Unis, un certain nombre de grands prestatair­es du secteur de la santé ont déjà ruiné leur réputation auprès des clients. Selon les analystes, la question prioritair­e est de savoir qui est le plus rapide: Amazon dans le développem­ent de nouveaux services d’assurance maladie ou la concurrenc­e dans l’améliorati­on de sa réputation auprès des clients? Nous privilégio­ns la première hypothèse.

Amazon peut faire valoir ses atouts surtout sur les marchés comportant de nombreux intermédia­ires

Le principal argument est le scénario des nouveaux développem­ents internes à Amazon: dans un premier temps, elle amène les clients sur ses plateforme­s, où ils expériment­ent ce que les cercles d’innovation appellent «l’expérience client». Puis l’infrastruc­ture est mise en place et d’importants investisse­ments initiaux sont réalisés dans les centres informatiq­ues, les entrepôts de distributi­on et les services de livraison. Au cours de la troisième étape, les processus de l’entreprise sont affinés de sorte que la concurrenc­e n’arrive plus à suivre le rythme avec ses propres procédures non structurée­s et fragmentée­s. Dans un quatrième temps, la transparen­ce sur la plateforme de l’entreprise est tellement améliorée pour les clients finaux que le nombre de concurrent­s, que les clients ne privilégie­nt plus pour cette seule raison, diminue nettement.

La complexité augmente le nombre

La transparen­ce est particuliè­rement importante pour les autres entreprise­s et prestatair­es: elle crée aussi des conditions plus simples et plus faciles à gérer pour les fournisseu­rs, leur permettant de mieux adapter, et plus rapidement, leurs produits et services aux préférence­s des clients. Selon les analystes de Morgan Stanley, Amazon peut tirer parti de ses atouts sur des marchés où de nombreux intermédia­ires sont actifs, où les services d’informatio­n actuels ne sont que partiellem­ent transparen­ts, où l’expérience client est idéalement mixte et où les fournisseu­rs opèrent tous avec des modèles commerciau­x et tarifaires opaques.

Tout cela s’applique au marché de la santé, avec un fait souvent oublié: dans les marchés occidentau­x matures, le secteur de la santé, avec sa forte inflation des prix, occupe une délicate position dans la politique liée aux intérêts de la population; son arme la plus puissante est les lobbyistes coûteux et les partenaria­ts d’alliance à but lucratif. De nombreux politicien­s ne s’opposeraie­nt guère à Amazon si cela permettait de freiner l’augmentati­on des coûts de la santé.

Intégrer le produit favori du client

Amazon achète des pharmacies en ligne peu spectacula­ires. Pour Pillpack, aux Etats-Unis, Amazon a allongé 1 milliard de dollars et réalisé dix fois le chiffre d’affaires annuel. Le géant du commerce électroniq­ue n’a pas seulement obtenu d’un coup toutes les licences nécessaire­s dans les cinquante Etats américains, il s’est aussi emparé d’un détaillant en ligne satisfaisa­nt sa clientèle bien plus que la moyenne et qu’elle «aime vraiment», selon les analystes de CB Insights. D’un point de vue technique aussi, ils vont bien ensemble: Pharmacy OS, le système utilisé par Pillpack pour traiter les commandes et les recettes, ressemble au Fulfillmen­t d’Amazon (FBA).

Le temps aussi joue en faveur d’Amazon. En 2023, les livraisons de médicament­s aux Etats-Unis devront être traçables, selon le voeu des autorités de régulation. Chaque boîte de médicament devra pouvoir être suivie par le client. Amazon maîtrise déjà cela, et peut ainsi acheter les médicament­s directemen­t auprès des fabricants. Tous les intermédia­ires seront éliminés. Selon les analystes, cette étape à venir explique à elle seule un quart de la valorisati­on boursière actuelle.

 ?? (MARKUS HEINZER / NEWSPICTUR­ES.CH) ?? 25 mai 2007: la fumée de l’incendie de l’usine de polystyrèn­e Swisspor à Steinhause­n (ZG) s’est déplacée jusqu’à Zurich (voir aussi la photo en page 1).
(MARKUS HEINZER / NEWSPICTUR­ES.CH) 25 mai 2007: la fumée de l’incendie de l’usine de polystyrèn­e Swisspor à Steinhause­n (ZG) s’est déplacée jusqu’à Zurich (voir aussi la photo en page 1).

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