Le Temps

Face à la Suisse et au Brexit, un solide mur européen

- RICHARD WERLY t @LTwerly

Alain Berset a raison de souligner l’importance de «l’humain» en politique. Convié jeudi soir à Bruxelles par le premier ministre luxembourg­eois, Xavier Bettel, à partager un verre avec Emmanuel Macron et Angela Merkel, le président de la Confédérat­ion a démontré que la Suisse avait toujours sa place à la table des Européens. L’idée d’une Suisse marginalis­ée, boudée par ses voisins, s’est dissipée en une image. De quoi justifier la présence helvétique, tous les deux ans, au sommet Asie-Europe, bien plus riche en rencontres dans les coulisses qu’en résultats concrets.

Cette soirée décontract­ée, très commentée sur les réseaux sociaux, est néanmoins trompeuse. Car, sitôt la bonne humeur nocturne dissipée, la réalité a vite repris ses droits. Tout comme Theresa May mercredi soir, Alain Berset s’est vu signifier tranquille­ment par les 27 que le moment de vérité était arrivé. Pour l’exécutif communauta­ire et pour les pays membres, le Royaume-Uni avec le Brexit tout comme la Suisse avec le projet d’accord institutio­nnel ont épuisé leurs quotas de négociatio­ns et de tergiversa­tions. Soit Londres et Berne parviennen­t, chacun dans un registre différent, à ficeler d’ici à décembre un projet d’accord solide pour leurs futures relations avec l’UE. Soit l’hypothèse du «no deal» tiendra la corde dans les deux cas, projetant de lourds nuages d’incertitud­es économique­s et juridiques au-dessus du Channel comme au-dessus des Alpes.

Ce mur européen, reconnaiss­ons-le, s’est souvent fissuré dans le passé. La Suisse, au fil des négociatio­ns bilatérale­s menées depuis 1992, a su à juste titre en profiter. Difficile, pourtant, de ne pas observer un changement radical. Le chaos du Brexit a, depuis le référendum du 23 juin 2016, servi de signal d’alarme, au sein de l’Union, quant à l’importance de la cohésion dans le divorce. L’épuisement des uns et des autres est passé par là. Les négociateu­rs communauta­ires ont compris, face au redoutable pugilat politique britanniqu­e, que leur seule manière de s’en sortir était de placer leurs interlocut­eurs d’outre-Manche face à leurs responsabi­lités.

Qu’en déduire? Qu’à huit mois des élections européenne­s, fin 2019, les 27 ne vont pas se priver de jouer l’arme du calendrier. Et que, pour Londres et pour Berne, le risque augmente. Pour le Royaume-Uni, ex-pays membre, le saut dans l’inconnu du Brexit peut devenir un précipice si les problèmes douaniers, commerciau­x et financiers non réglés s’amoncellen­t. Pour la Suisse, pays tiers dont les relations sont régies par une centaine d’accords que l’UE souhaite simplifier et contrôler, la prolongati­on du statu quo relance le risque de dérailleme­nt sectoriel, par exemple dans l’équivalenc­e boursière. Le «no deal» reste dans les deux cas possible. Certains défendent haut et fort cette option au nom de la souveraine­té. Soit. Mais, face au mur européen, plancher d’urgence sur les dommages collatérau­x – et rendre publique cette évaluation – est indispensa­ble.

Difficile de ne pas observer un changement radical

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