Face à la Suisse et au Brexit, un solide mur européen
Alain Berset a raison de souligner l’importance de «l’humain» en politique. Convié jeudi soir à Bruxelles par le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, à partager un verre avec Emmanuel Macron et Angela Merkel, le président de la Confédération a démontré que la Suisse avait toujours sa place à la table des Européens. L’idée d’une Suisse marginalisée, boudée par ses voisins, s’est dissipée en une image. De quoi justifier la présence helvétique, tous les deux ans, au sommet Asie-Europe, bien plus riche en rencontres dans les coulisses qu’en résultats concrets.
Cette soirée décontractée, très commentée sur les réseaux sociaux, est néanmoins trompeuse. Car, sitôt la bonne humeur nocturne dissipée, la réalité a vite repris ses droits. Tout comme Theresa May mercredi soir, Alain Berset s’est vu signifier tranquillement par les 27 que le moment de vérité était arrivé. Pour l’exécutif communautaire et pour les pays membres, le Royaume-Uni avec le Brexit tout comme la Suisse avec le projet d’accord institutionnel ont épuisé leurs quotas de négociations et de tergiversations. Soit Londres et Berne parviennent, chacun dans un registre différent, à ficeler d’ici à décembre un projet d’accord solide pour leurs futures relations avec l’UE. Soit l’hypothèse du «no deal» tiendra la corde dans les deux cas, projetant de lourds nuages d’incertitudes économiques et juridiques au-dessus du Channel comme au-dessus des Alpes.
Ce mur européen, reconnaissons-le, s’est souvent fissuré dans le passé. La Suisse, au fil des négociations bilatérales menées depuis 1992, a su à juste titre en profiter. Difficile, pourtant, de ne pas observer un changement radical. Le chaos du Brexit a, depuis le référendum du 23 juin 2016, servi de signal d’alarme, au sein de l’Union, quant à l’importance de la cohésion dans le divorce. L’épuisement des uns et des autres est passé par là. Les négociateurs communautaires ont compris, face au redoutable pugilat politique britannique, que leur seule manière de s’en sortir était de placer leurs interlocuteurs d’outre-Manche face à leurs responsabilités.
Qu’en déduire? Qu’à huit mois des élections européennes, fin 2019, les 27 ne vont pas se priver de jouer l’arme du calendrier. Et que, pour Londres et pour Berne, le risque augmente. Pour le Royaume-Uni, ex-pays membre, le saut dans l’inconnu du Brexit peut devenir un précipice si les problèmes douaniers, commerciaux et financiers non réglés s’amoncellent. Pour la Suisse, pays tiers dont les relations sont régies par une centaine d’accords que l’UE souhaite simplifier et contrôler, la prolongation du statu quo relance le risque de déraillement sectoriel, par exemple dans l’équivalence boursière. Le «no deal» reste dans les deux cas possible. Certains défendent haut et fort cette option au nom de la souveraineté. Soit. Mais, face au mur européen, plancher d’urgence sur les dommages collatéraux – et rendre publique cette évaluation – est indispensable.
Difficile de ne pas observer un changement radical