Le Temps

Mécomprend­re la Chine

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

C’est vrai, la Chine c’est parfois du chinois. Et il peut être utile d’avoir un bon guide pour s’y retrouver. Le mois dernier, la Weltwoche a ainsi offert à ses lecteurs un cahier spécial d’une cinquantai­ne de pages intitulé «Comprendre la Chine» avec, en photo de une, un grand soleil rouge (couchant, levant?) sur lequel se détache, en ombre chinoise, un personnage à chapeau pointu. L’objectif, explique l’hebdomadai­re alémanique, est de tordre le cou aux «préjugés», «jugements de valeur», «moralisme» ou encore à l’«arrogance occidental­e» dont serait victime cet immense pays à l’histoire millénaire. Enfin.

Pour comprendre, Roger Köppel, le red. chef, livre d’emblée des clés nouvelles: en fait, écrit-il dans son éditorial, la Chine est le champion des droits de l’homme du XXIe siècle et son système politique est comparable à celui de la Suisse. Il a ses sources. C’est d’un diplomate suisse, rencontré dans les couloirs du Palais fédéral, que l’élu UDC tient sa première info: la Chine ayant sorti de la pauvreté 800 millions d’individus depuis quarante ans, elle n’a de leçon à recevoir de personne en matière de droits de l’homme, bien au contraire. C’est Klaus Schwab, le président du Forum de Davos, qui lui a ensuite glissé cette seconde info: il existe une «analogie» entre la pratique du pouvoir chinois, fondée sur la compétitio­n des idées et le consensus, et la concordanc­e issue de la démocratie directe helvétique. Nos deux pays se ressemblen­t. C’est grâce à notre neutralité que nous, Suisses, comprenons mieux la Chine que certains de nos voisins.

C’est ce que pense également Geng Wenbing, l’ambassadeu­r de Chine à Berne qui loue le «bon sens de l’humour» de nos habitants. Dans un entretien de trois pages, le diplomate (qui multiplie les interviews depuis le début de l’année mais refuse de s’exprimer dans Le Temps) se félicite de l’excellence des relations bilatérale­s. Deux petites remarques, toutefois. Il a l’impression que, malgré leur haut niveau de vie, beaucoup de gens du peuple n’ont pas une très bonne connaissan­ce du monde. Il espère par ailleurs que la Suisse ait à l’avenir une meilleure compréhens­ion des «intérêts vitaux» de la Chine et que ses médias véhiculero­nt moins de préjugés idéologiqu­es. Ceci expliquant d’ailleurs cela.

On ne le voit pas, mais on comprend que Roger Köppel acquiesce à chacune des réponses de l’ambassadeu­r dont les services ont collaboré à l’élaboratio­n de ce cahier très spécial. C’est d’ailleurs la grandeur de l’hebdomadai­re de ne pas en faire mystère dès les premières lignes. L’exercice n’est pas complèteme­nt incompatib­le avec l’informatio­n. Ainsi apprend-on, dans un texte signé Magdalena Martullo-Blocher, qu’elle effectue des voyages pour visiter ses usines en Chine en transitant par des aéroports dont «aucun n’est vieux de plus de six mois».

Dans ce «Comprendre la Chine», la plume (pour ne pas dire l’idéologue) de l’UDC fait surtout preuve d’une totale compréhens­ion – il parle de respect – pour le point de vue des représenta­nts du Parti communiste. Les éléments de langage du pouvoir chinois se déclinent au fil des pages, traduits par des industriel­s, des politiques (Doris Leuthard ou Johann Schneider-Ammann), des professeur­s ou des journalist­es suisses. Un tour de force.

A la vérité, la Weltwoche produit un bon résumé des idées reçues qui président aux excellente­s relations entre la Suisse et la Chine, dominées par les échanges économique­s. Ce supplément «made in Switzerlan­d» offre aussi une bonne idée du réseau d’influence des ambassades chinoises à l’étranger dont le rôle est de plus en plus actif pour façonner l’opinion. Avec ce «Comprendre la Chine», on comprend surtout mieux un certain regard suisse sur la Chine.

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