La lucidité d’Ueli Maurer
Il faudra un jour rendre justice au conseiller fédéral Ueli Maurer pour sa clairvoyance. Bien avant que Donald Trump ne bouleverse les relations entre Etats et instaure les rapports de force à la place des traités et du droit, l’actuel ministre des Finances aura mis en garde contre la tentation hégémonique des grandes puissances, dédaigneuses du droit. Un éloge du droit entre les nations, garant de leur souveraineté. C’était le 9 janvier 2013, année présidentielle d’Ueli Maurer, à l’occasion de la présentation des voeux du corps diplomatique.
Devant les ambassadeurs, le président, oubliant qu’il avait mené campagne contre l’adhésion de la Suisse à l’ONU, avait tout d’abord loué la Charte de l’organisation fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous les Etats membres, dont les relations «se fondent sur le droit et non sur le pouvoir». Avant de se montrer inquiet, «parce que ces acquis pourraient finir aux oubliettes… La tentation croît pour les grands Etats de ne plus accepter les petits comme des partenaires d’égale valeur: pourquoi un grand Etat se lancerait-il dans des négociations longues et compliquées avec un Etat plus petit alors qu’il pourrait simplement lui dicter ses conditions? Alors qu’il serait plus facile de déclarer que son projet juridique s’applique également au-delà des frontières… Des Etats souverains dont les relations sont régies par des conventions, voilà le moyen de parvenir à la prospérité économique et au bien-être dans le monde.»
Là s’arrête pourtant la perspicacité du président de la Confédération de 2013. Son raisonnement s’est arrêté à mi-chemin. Malgré son éloge indirect au droit international, sous forme de référence à la Charte des Nations unies et au «droit des gens» né des traités de Westphalie. Pour lui, la conclusion d’accords bilatéraux entre Etats était supposée suffire à garantir la souveraineté de chacun d’eux. Il est vrai que son parti, l’UDC, venait de se lancer dans une réflexion à haute voix «pour mieux contrôler l’influence du droit international». Opération qui devait aboutir au lancement de l’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)».
Comment Ueli Maurer pouvait-il en 2013 mettre en garde contre les tentations hégémoniques des grandes puissances et en même temps croire que des accords bilatéraux suffiraient à garantir la souveraineté des petits Etats? Certes, Vladimir Poutine n’avait pas encore délibérément violé la souveraineté de l’Ukraine en Crimée; Donald Trump n’avait pas encore fait des confettis avec l’Accord de Paris sur le climat et ne s’était pas encore attaqué aux organisations internationales. Mais la globalisation des marchés financiers ou des biens, dont profite largement la Suisse, avait depuis longtemps exigé un renforcement des règles internationales. En 2013, sous pression américaine, le Conseil fédéral préparait précisément une Lex USA qu’il fut impossible à faire avaler au parlement. Cette année-là, la souveraineté de la Suisse, privée de la protection d’un droit international, était bien illusoire. Au moment où Vladimir Poutine, Donald Trump, Viktor Orban et les autres cherchent à se débarrasser des obligations du droit international, la Suisse souverainiste est tentée de ne croire qu’à ses propres forces. C’est le moment de regretter que la clairvoyance d’Ueli Maurer en 2013 soit frappée de myopie volontaire.n