Le Temps

Pékin se renforce sur les côtes de l’Europe

INFRASTRUC­TURES La Chine a investi dans 13 ports européens. Cela lui permet de garder le contrôle sur les lignes commercial­es entre ces deux régions. Le Pirée, en Grèce, fait office de tête de pont

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

Pékin les appelle son collier de perles. Une guirlande de ports tombés dans son escarcelle qui relient la Chine à l’Europe de l’Ouest en passant par l’océan Indien. En Europe, il y en a 13, représenta­nt 10% de la capacité de shipping du continent. Le congloméra­t étatique Cosco a notamment acquis en 2016 51% du port du Pirée, en Grèce. Il possède également 85% de celui de Zeebrugge, 20% de celui d’Anvers et 35% de celui de Rotterdam. A cela s’ajoutent des parts minoritair­es dans ceux de Gênes, Bilbao et Valence.

Son concurrent China Merchants Port Holdings Company détient pour sa part une partie du port de Dunkerque, du Havre, de Marseille, de Nantes et de Marsaxlokk, sur Malte. A eux deux, ils se partagent 52% du port d’Istanbul.

Plusieurs de ces investisse­ments concernent des infrastruc­tures vieillissa­ntes et en perte de vitesse. «Les acteurs chinois veulent leur redonner vie, note Neil Davidson, un expert auprès du consultant maritime Drewry. Ils possèdent leurs propres lignes de shipping et ont donc les moyens d’accroître le volume d’affaires de ces terminaux.»

Remise à niveau

Cosco a investi 700 millions de dollars pour agrandir et moderniser le Pirée. Il va y construire un terminal réservé aux croisières. Entre 2010 et 2017, le nombre de containers transitant par le port grec est passé de 900000 à 4,1 millions. Le groupe chinois prévoit de faire de même à Zeebrugge, un port acquis début 2018, qui souffre de la concurrenc­e d’Anvers, à 100 kilomètres de là.

«Les Chinois ont les poches profondes», rappelle Turloch Mooney, un spécialist­e de l’industrie des transports auprès d’IHS Markit. Les firmes de l’Empire du Milieu ont accès à des emprunts à bas coûts et aux fonds mis à dispositio­n par le gouverneme­nt dans le cadre de son projet Belt and Road. Lorsque Cosco a repris Zeebrugge, le port venait d’être lâché par son propriétai­re APM Terminals, qui appartient au danois Maersk. La Grèce était, elle, endettée jusqu’au cou.

Pour Pékin, posséder des parts dans les ports européens représente un objectif stratégiqu­e. «Cela permet à la Chine de garder le contrôle sur les lignes de shipping entre l’Europe et l’Asie et de s’assurer qu’elles restent ouvertes, même en cas de conflit commercial», indique Frans-Paul van der Putten, un chercheur à l’institut Clingendae­l. L’Europe est le deuxième marché d’exportatio­n de la Chine. Chaque jour, 1 milliard de dollars de biens circulent entre les deux régions.

Situé en face du canal de Suez, le port du Pirée représente une porte d’entrée sur le continent pour les produits en provenance de l’Empire du Milieu. Pékin a commencé à construire des lignes de train pour le relier aux Balkans et à l’Europe du Nord. L’objectif est de réduire de huit à douze jours la durée du trajet entre la Chine et l’Union européenne, qui prend un mois.

Ces investisse­ments ont aussi du sens du point de vue commercial. «Les revenus issus de la gestion d’un port sont moins soumis à la conjonctur­e que ceux générés par le shipping», souligne Frans-Paul van der Putten. Les marges sont aussi plus élevées.

Mais l’arrivée des Chinois suscite des inquiétude­s en Europe. En septembre 2017, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé un nouveau mécanisme pour passer au crible les investisse­ments chinois dans les ports européens. «Nous avons le devoir politique de savoir ce qui se passe dans notre arrièrecou­r», a-t-il dit.

Dockers mécontents

«Ces investisse­ments génèrent beaucoup d’influence politique pour la Chine», juge Turloch Mooney. L’an dernier, la Grèce a bloqué plusieurs résolution­s de l’Union européenne condamnant la situation des droits de l’homme dans le pays ou ses ambitions en mer de Chine méridional­e.

Les 1700 travailleu­rs du port du Pirée se sont également plaints des conditions introduite­s par leurs nouveaux employeurs. Travail sur appel, absence de cotisation­s sociales et heures supplément­aires sont devenues la norme, selon eux. Le représenta­nt de Cosco Fu Cheng Qui, un ancien garde de l’Armée rouge, leur a enjoint dans une interview de «travailler plus dur, au lieu de passer la journée allongés sur la plage à boire de la bière».

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«Ces investisse­ments génèrent beaucoup d’influence politique pour la Chine» TURLOCH MOONEY, SPÉCIALIST­E DE L’INDUSTRIE DES TRANSPORTS AUPRÈS D’IHS MARKIT

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(LOUISA GOULIAMAKI/AFP) Le premier ministre chinois, Li Keqiang, a visité le port du Pirée en 2014. Ce dernier – acquis à 51% en 2016 par Cosco – est le fer de lance des investisse­ments portuaires chinois en Europe.

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