SUISSESSES ET ANARCHISTES
Daniel de Roulet revient dans un beau roman sur le destin saisissant de dix femmes suisses du Jura bernois, émigrées en Amérique latine au XIXe siècle.
A partir de faits historiques, l’écrivain a imaginé l’épopée de dix jeunes émigrantes de Saint-Imier parties à la fin du XIXe siècle pour la Patagonie. Avec au coeur un idéal anarchiste: «Ni dieu, ni maître, ni mari»
◗ «On était dix et à la fin on n’est plus qu’une.» Telle est la première phrase de Dix petites anarchistes, le nouveau roman de Daniel de Roulet. S’inspirant de faits historiques, très documenté, puisant dans les archives et y faisant des découvertes, se rendant sur les lieux qui font les décors de son récit, l’auteur imagine une aventure politique et sociale haletante menée par des femmes, à la fin du XIXe siècle, employées pour la plupart par l’industrie horlogère naissante de Saint-Imier dans le Jura bernois. Oui, elles étaient dix à préférer émigrer, loin, très loin du vallon, plutôt que de continuer à endurer la précarité, la faim même, pour certaines d’entre elles. Valentine Grimm, la narratrice, est l’une d’elles. Elle est la seule survivante de l’épopée. Agée de 64 ans, elle tient à «raconter, sans trop mentir, ce qu’il en coûte de réinventer le monde».
Avec beaucoup de justesse dans le ton, sans emphase ni romantisme, Daniel de Roulet reconstitue l’esprit anarchiste qui planait à la fin du XIXe siècle sur Saint-Imier, la ville qui a accueilli le premier congrès anarchiste en 1872. Et il met en exergue le rôle important des femmes dans ce mouvement. Le titre fait évidemment écho aux Dix petits nègres d’Agatha Christie. Au cours de leur périple qui les mène jusqu’en Patagonie puis sur l’île de Robinson Crusoé (qui existe bel et bien), en Argentine et en Uruguay, ces vaillantes vont affronter de nombreux et dangereux revers. Comme dans la comptine, elles meurent les unes après les autres. Toutes ont leur personnalité, leurs amours, leurs convictions plus ou moins fortes. Valentine est une sceptique. Un trait de caractère qui rend son personnage particulièrement crédible et attachant.
Les femmes de Saint-Imier croisent aussi des personnages historiques comme Bakounine, Errico Malatesta ou Louise Michel. Ce sont tous les débuts du mouvement anarchiste, de la France à la Suisse et jusqu’en Amérique latine, de grèves en manifestations réprimées dans le sang, que l’auteur revisite. Dans le même mouvement,
«Ce sont les femmes anarchistes qui ont fait, les premières, bouger les choses sur les questions du couple, de l’amour et du genre»