Le Temps

Le rêve d’Omar Porras accompli

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«Vas-y mon chéri, mais ça va être difficile!» Ce mois de décembre 2016, à la Cartoucher­ie de Vincennes, Omar Porras rougit comme ce diablotin de Puck dans Le songe d’une nuit d’été. Ariane Mnouchkine l’encourage à tenter le coup. Le metteur en scène helvético-colombien ne se le fait pas répéter. L’une des femmes de sa vie – théâtrale et spirituell­e –, la maîtresse conteuse du Théâtre du Soleil ne dit pas non à un séjour sur les rivages du Léman, avec tout son caravansér­ail et sa Chambre en Inde.

Tandis qu’Ariane s’éloigne dans la touffeur de la Cartoucher­ie, le directeur du Théâtre Kléber-Méleau imagine déjà un scénario pour accueillir la dernière création du Soleil. A vrai dire, Ariane a raison: ça paraît impossible. La venue de la troupe et sa présence pendant un mois en Suisse romande ont un coût. Quelque deux millions, apprendra bientôt Omar Porras, soit deux production­s du Grand Théâtre de Genève. De retour à Renens, il lance tous azimuts des appels à ses collègues à la tête des scènes romandes. «Vous me soutiendri­ez? Vous me suivriez?» «Oui, Omar, ce sera difficile, mais vas-y.»

«Cela faisait des années que je rêvais d’inviter Ariane Mnouchkine, nous en avions souvent parlé avec Jean Liermier, directeur du Théâtre de Carouge. Ariane, qui refuse souvent, était d’accord sur le principe. On ne pouvait pas passer à côté.» C’est ce qu’il explique à Michael Kinzer, chef du Service de la culture à Lausanne, et à Grégoire Junod, le syndic lausannois.

Convaincue­s, les autorités? Presque. Omar Porras organise dans la foulée un voyage à la Cartoucher­ie pour Grégoire Junod, Michael Kinzer et une poignée d’élus. Ils sont subjugués. Il sait désormais qu’il pourra compter sur le soutien des pouvoirs publics vaudois. Mais il faut trouver le reste de la somme. Les institutio­ns romandes acceptent d’acheter des places pour leurs abonnés. Des mécènes et des fondations se mobilisent. Au mois de décembre passé, pourtant, la Loterie Romande se retire. Coup d’assommoir. Mais un privé vole au secours du Soleil à Lausanne.

Restait cette inconnue: le public répondrait-il? Oui, et avec enthousias­me. Les 13 000 billets ont trouvé preneurs, les 21 représenta­tions se joueront à guichets fermés. «On aurait pu jouer facilement une semaine de plus, mais le lieu était déjà occupé», regrette Omar Porras.

Mercredi, soir de première, il se souviendra de sa course de lièvre efflanqué un jour de 1985. Il avait 23 ans, découvrait alors Paris et s’était égaré, poncho au vent, dans les bois de Vincennes, à la recherche de la Cartoucher­ie. Il était arrivé à bout de souffle et à l’entrée une femme l’avait accueilli avec un sourire amusé. C’était Ariane Mnouchkine qui déchirait les billets au seuil de L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. «Dans Une chambre en Inde, un personnage dit que le théâtre peut sauver des vies», raconte Omar Porras. Il partage cette foi avec Ariane.

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