LE SILENCE DE GASPARD
Dans «Gaspard de la nuit. Autobiographie de mon frère», la philosophe Elisabeth de Fontenay questionne le handical mental qui a valu à tant d’êtres de se voir exclus de la communauté des hommes ◗ Qu’est-ce qui constitue l’humanité d’un être? Comme dans le roman de Gonçalo Tavares Une jeune fille perdue dans le siècle à la recherche de son père, la question est au coeur de Gaspard de la nuit. Autobiographie de mon frère. La philosophe Elisabeth de Fontenay connaît le chagrin d’avoir un frère enfermé dans la maladie mentale. Son indifférence apparente est une énigme qu’elle cherche à déchiffrer. Pour la première fois, au soir de leur vie, écrivant à sa place, elle prend le risque de lui faire violence en l’enfermant dans un discours. Ce «pauvre Gaspard», plongé dans sa nuit, est privé du rapport aux autres. Il n’est pas trisomique, comme la joyeuse Hanna de Tavares, il souffre d’une forme d’autisme qui le rend imperméable à son entourage, privé d’empathie, isolé dans sa forteresse.
Face à cet «idiot», ce pauvre en esprit dont on ne sait si le royaume des cieux promis par l’Evangile lui est ouvert, sa soeur, qui fait métier de penser, se sent coupable: a-t-elle privé ce frère de sa place dans la famille en l’occupant toute? Pour tenter de lui en rendre une, elle convoque la littérature, la musique, l’histoire, la philosophie, la psychanalyse dans ce court texte, pudique, parfois difficile à suivre. Elle relate les efforts vains de sa mère pour «civiliser» ce fils réfractaire à l’éducation.
«Ou il n’y a personne ou l’on ne veut pas répondre», dit le neveu de Rameau, dans le roman de Diderot. Y a-t-il quelqu’un derrière le silence de Gaspard? Ses éclats de violence renvoient-ils à une autre violence, celle faite à la famille de la mère, exterminée dans les camps? Elisabeth de Fontenay, qui s’est longuement interrogée sur «le silence des bêtes» et la vie psychique des animaux, questionne à propos de Gaspard la notion de «propre de l’homme», dont tant d’êtres ont été exclus au cours de l’histoire. Parmi eux, les handicapés mentaux, et avec eux, ce frère. C’est pour l’inscrire dans la communauté des hommes qu’elle a écrit ce livre bouleversant.
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