Le Temps

UNE LIAISON AMOUREUSE AVEC PHILIP ROTH

- PAR ANDRÉ CLAVEL Genre | Auteur | Titre | Traduction | Editeur | Pages |

Sous le masque de la fiction,

Lisa Halliday raconte la relation qu’elle a entretenue avec le créateur de «Portnoy». L’occasion de brosser un portrait haut en couleur du monstre sacré disparu cette année, séducteur impénitent à l’humour légendaire

◗ Elle est assistante d’édition, elle s’appelle Alice et s’apprête à traverser un miraculeux miroir. Elle est assise sur le banc d’un parc new-yorkais, un livre ouvert sur les genoux, lorsqu’un homme âgé aux mèches «gris d’étain», un cône glacé à la main, l’accoste tout de go. Cet homme, la timide Alice le reconnaît aussitôt, tandis que ses joues virent au «rose pastèque». Il s’agit d’un écrivain célébrissi­me couronné d’un Prix Pulitzer, auteur d’une oeuvre particuliè­rement sulfureuse: Philip Roth himself, rebaptisé Ezra Blazer dans Asymétrie, un récit signé Lisa Halliday, qui raconte sous le masque d’Alice la liaison amoureuse qu’elle a nouée avec le créateur de Portnoy, à la fin des années 1990.

Un flirt d’abord, puis des agapes aussi charnelles qu’intellectu­elles, ce qui nous vaut un portrait bien senti – et inédit – d’Ezra-Philip. Un séducteur impénitent, un «professeur de désir» taquin, joueur, espiègle, tendre comme un père, amateur de blagues juives, jamais avare de boutades bon enfant. Le voilà devant nous dans son intimité, lisant une lettre de Joyce à sa femme Nora, sortant en t-shirt Calvin Klein de la salle de bains où il a fredonné Cheek to Cheek, puis scotché à son écran de télévision pendant les matchs de baseball ou plongé dans David Copperfiel­d pour s’en inspirer dans un de ses romans. Tout en attendant, chaque premier jeudi d’octobre, de décrocher ce Nobel qui lui passera régulièrem­ent sous le nez.

GRAND MÉCHANT LOUP

«Le matin, étendue face à lui, ses yeux plongés au fond de ses prunelles marron, émerveillé­e de les voir si intactes, si limpides et alertes, après tous ces anniversai­res, ces guerres, ces mariages, ces présidents et ces livres, Alice soupirait. Ils avaient à eux deux quatre-vingt-dix-sept ans, et plus le temps Roman

Lisa Halliday Asymétrie

De l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen Gallimard

345 passait, moins elle faisait de différence entre son existence et la sienne», écrit Lisa Halliday, intarissab­le sur l’anatomie de ce monstre sacré bardé de cicatrices, après trois opérations de la colonne vertébrale, sept stents sur l’artère coronaire, un quintuple pontage… Mais l’auteur de La tache restera de marbre, sans jamais perdre son légendaire sens de l’humour, comme ce jour où, sur la route des urgences après un malaise, il lancera au chauffard qui conduit le taxi: «Dites-moi, monsieur, vous voulez bien ralentir un peu? J’aimerais attendre d’être arrivé à l’hôpital pour mourir.»

Lisa Halliday aurait dû se contenter de ce portrait où, quelques mois après sa disparitio­n, nous retrouvons toute la joviale alacrité du grand méchant loup des lettres d’outre-Atlantique, sorti du bois pour montrer patte blanche. Hélas, la romancière ajoute une seconde partie où elle met en scène un Irako-Américain suspecté de terrorisme, des pages qui n’ont aucun rapport avec les précédente­s. Comme si Lisa Halliday était à court d’inspiratio­n dans un récit qui se clôt sur une interview imaginaire de son ex-amant. Une pirouette qui tombe à plat.

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