Le Temps

LE PIÈGE REDOUTABLE DU POSTHUMANI­SME

- PAR EMMANUEL GEHRIG Genre | Auteur | Titre | Editeur | Pages |

Mark Hunyadi, philosophe et collaborat­eur du «Temps», démasque la logique à l’oeuvre derrière les promesses de l’homme augmenté

◗ Augmentati­on des facultés mentales et physiques, hybridatio­n de l’homme et des machines, immortalit­é: c’est une vie éternelle, toute lisse au parfum d’huile de jojoba, que nous promettent une poignée d’ingénieurs, de techno-influenceu­rs et de futurologu­es réunis sous la bannière du posthumani­sme. Les lendemains qui chantent? Ringard! Essayez plutôt le jour sans fin de l’humanité, une utopie dans laquelle tout le monde – ou du moins ceux qui se conforment aux impératifs technologi­ques – aura le loisir d’améliorer sans fin ses performanc­es et celles de ses enfants par la sélection génétique et la robotisati­on de ses facultés. Et ce, jusqu’à ce que l’intelligen­ce artificiel­le prenne le pas sur l’intelligen­ce humaine, point de bascule appelé «singularit­é» et que Ray Kurzweil, ingénieur chef de Google, situe vers le milieu du XXIe siècle.

Dans Le temps du posthumani­sme, Mark Hunyadi – professeur de philosophi­e morale et politique à l’Université catholique de Louvain, Genevois exilé, également collaborat­eur du Temps – qualifie ces promesses, présentées comme des vérités absolues, de «supercheri­e idéologiqu­e» qui prêterait à rire si celle-ci n’était pas financée à coups de milliards par les géants d’internet. Avertissem­ent à ce stade de la lecture: l’auteur se défend de toute phobie à l’égard du progrès – on peut aimer les smartphone­s, être parfaiteme­nt connecté tout en gardant toute sa raison critique face aux apôtres de cette nouvelle religion.

L’HOMME

ET SES INGRÉDIENT­S

D’abord, le discours est passé au crible. Les posthumani­stes ne voient pas l’avenir comme une probabilit­é mais comme une certitude, ce qui devrait d’emblée alerter notre suspicion comme devant n’importe quel mouvement millénaris­te. Ensuite, en proposant par exemple de sélectionn­er et d’amplifier des caractéris­tiques humaines comme le sens de l’attention, la performanc­e ou la confiance en soi, les dévots de l’algorithme font preuve d’un manque de compréhens­ion flagrant de ce qui fait l’homme et du processus lent de l’acquisitio­n de ces qualités par la sociabilit­é et l’éducation.

Point fort du diagnostic, la mise en contexte de cette idéologie. Mark Hunyadi replace le posthumani­sme comme un symptôme de notre époque ultralibér­ale, car il en épouse toutes les valeurs sousjacent­es. des modes de vie La tyrannie

Une manipulati­on subtile qui provoque la dépolitisa­tion du monde et un sentiment d’impuissanc­e général. «Personne n’y peut rien, on n’arrête pas le moteur du progrès», lance un étudiant à l’auteur, à l’issue d’un cours. C’est justement contre ce fatalisme que se dresse ce réquisitoi­re musclé.

Que faire alors? Refuser que la nature humaine soit aux mains des géants du web et de la finance, reprendre le contrôle sur nos modes de vie, repolitise­r notre avenir… Tout cela ensemble, à travers une «institutio­n du commun» qui reste entièremen­t à construire. «Le futurisme ne doit plus se conjuguer au futur obligé, mais au conditionn­el politique», écrit Mark Hunyadi avec esprit, sachant toutefois que la route sera très longue.

n Essai

Mark Hunyadi Le temps du posthumani­sme. Un diagnostic d’époque

Les Belles Lettres 176

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(ALEX WILLIAMSON)
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