Le Temps

Suisse-UE: encore cinq minutes Monsieur le bourreau!

- FRANÇOIS NORDMANN

Le fiasco des négociatio­ns sur l’accord institutio­nnel était inscrit dans le mandat initial. Rappelons-nous les étapes de ce parcours. En 2012, la Suisse avait enregistré un premier échec: la Commission européenne réclamait que des organes de surveillan­ce et de contrôle judiciaire soient institués. Les propositio­ns de la Suisse de confier ces fonctions respective­ment au Conseil fédéral et au Tribunal fédéral ont été rejetées par Bruxelles. Ces tâches devaient être exercées par des instances internatio­nales.

Au début de 2013, la Suisse finit par admettre la logique de la position européenne et les négociatio­ns prirent un nouveau départ. La Suisse acceptait d’emblée de soumettre le règlement des différends à une juridictio­n extérieure contraigna­nte qui serait soit la Cour de justice de l’Union européenne, soit la Cour de l’AELE. Le Conseil fédéral a choisi la première option, qui garantissa­it à ses yeux une sécurité juridique maximale, tout en sachant qu’elle serait plus difficile à faire adopter par le parlement et par le peuple.

Le Conseil fédéral fixa ensuite les termes d’un mandat de négociatio­n, assorti de «lignes rouges» qui auraient dû sanctuaris­er les mesures d’accompagne­ment et empêcher que l’on ne touche à la libre circulatio­n des personnes telle que la Suisse l’interprète. Or ce sont ces deux points essentiels qui ont amené la Commission à vouloir coiffer le bilatérali­sme d’un accord-cadre. La Suisse au contraire est entrée dans ces négociatio­ns en appliquant le principe napoléonie­n «on s’engage, et puis on voit». Elle n’était pas demanderes­se, elle ne subissait aucune pression dans le domaine économique (à la différence des années 1990 où elle avait besoin des accords bilatéraux pour encadrer les échanges avec l’UE). Si les pourparler­s échouaient, cela lui paraissait n’entraîner aucune conséquenc­e dommageabl­e…

Puis est survenu le vote de l’article constituti­onnel sur l’immigratio­n «de masse» qui a tendu les relations avec l’UE de février 2014 à décembre 2016. La Commission a alors gelé l’applicatio­n de certains accords de coopératio­n avec la Suisse et renoncé à actualiser la liste des obstacles techniques au commerce. Le dégel prit toute l’année 2017, mais le faible élan initial était brisé. La démission du conseiller fédéral Didier Burkhalter et l’installati­on de son successeur le conseiller fédéral Ignazio Cassis retarda encore de six mois la reprise des discussion­s sur le fond, qui n’eut lieu que le 2 mars de cette année. Ce jour-là, le Conseil fédéral proclama sa volonté d’aller de l’avant et d’aboutir à la fin de 2018, soutenu par trois partis gouverneme­ntaux comme la corde soutient le pendu. Mais il n’avait pas fait ses devoirs, les dossiers n’étaient pas prêts. On est arrivé à un premier accord sur l’introducti­on d’une dose d’arbitrage dans le mécanisme juridictio­nnel. En revanche, les autres chapitres – adaptation des mesures d’accompagne­ment, mise à jour des règles de la libre circulatio­n des personnes notamment dans le domaine de la sécurité sociale, aides d’Etat – ne donnaient lieu à aucune position consolidée du côté suisse.

Le concept de départ des deux parties était fondamenta­lement différent: bercée par la fausse sécurité découlant des fameuses «lignes rouges», l’opinion publique n’était pas prête à faire les concession­s nécessaire­s pour assurer une meilleure sécurité juridique et un meilleur accès au marché européen. Les partis politiques n’ont guère joué en la matière leur rôle de formateur dans le débat public. Dix ans après que la question institutio­nnelle a été posée par la Commission, six ans après le début d’un dialogue structuré à ce sujet, quatre ans après le début de la négociatio­n formelle, nous en sommes toujours à demander «encore cinq minutes Monsieur le bourreau», comme si le temps à lui seul pouvait résoudre nos problèmes et amener l’UE à se rallier à nos vues. Face aux multiples dangers qui assaillent l’Europe aujourd’hui, cette attitude fragilise la Suisse: c’est moins un manque de courage politique que la démonstrat­ion d’une grande faiblesse.

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