Le Temps

Swisscom et PostFinanc­e entrent dans l’arène de l’e-sport

Swisscom et PostFinanc­e entrent dans l’arène du sport électroniq­ue. Signe que le secteur privé commence à prendre au sérieux la discipline. Problème: les initiative­s sont morcelées

- FLORIAN DELAFOI t @floriandel

Des visiteurs costumés se pressent dans les allées du salon HeroFest. Au-dessus de leurs têtes, de larges écrans diffusent des batailles de personnage­s colorés. Au milieu de la cohue, un opérateur historique: Swisscom. L'entreprise a profité de l'événement bernois, qui s'est tenu du 12 au 14 octobre, pour annoncer la création de son propre tournoi de sport électroniq­ue. Pour séduire les amateurs, elle a misé sur trois jeux phares de la discipline et organisera une finale en mai 2019 devant un public qu'elle espère nombreux et enthousias­te. «La partie commence avec vous», clame une vidéo promotionn­elle. Une entrée en fanfare sur un marché naissant.

«Swisscom souhaite avoir un rôle actif en créant une grande ligue nationale, confirme une porte-parole de la société. Nous sommes convaincus que cette activité s'imposera comme un sport à part entière.» Le montant de l'investisse­ment n'a pas été dévoilé, mais son intention est claire: avec la Swisscom Hero League, conçue avec l'aide du leader mondial du secteur ESL, l'opérateur veut se démarquer de son concurrent UPC. Ce dernier avait pris les devants en ouvrant dès 2016 une plateforme d'informatio­ns dédiée aux exploits des joueurs suisses.

Reconnaiss­ance

L'annonce de Swisscom a fait frémir les adeptes. «Les sponsors commencent à s'intéresser à la discipline et à créer des projets intéressan­ts et viables. C'est ce que les joueurs attendaien­t pour obtenir une certaine reconnaiss­ance et avoir des perspectiv­es», se félicite Frédéric Boy, président du Lausanne Esports, l'équipe soutenue par le club de football vaudois. Alors que le sport électroniq­ue brasse des sommes spectacula­ires dans le monde, il peine à décoller en Suisse. Jusque-là, il se contentait de projets bricolés et de tentatives avortées.

Dernier échec en date: la Geneva Gaming Convention. Ce grand événement dédié à l'univers du jeu vidéo n'a pas eu de troisième édition. L'associatio­n organisatr­ice a annoncé sa faillite en 2017, malgré une progressio­n nette de la fréquentat­ion. Parmi les lacunes identifiée­s: un problème de démarchage auprès de sponsors potentiels.

Soutiens volatils

C'est le noeud du problème. Les soutiens économique­s sont bien souvent volatils. En 2016, Raiffeisen s'apprêtait à soutenir la création d'une associatio­n pour promouvoir le sport électroniq­ue dans le pays. «Un engagement fort», affirmait la banque saint-galloise. Mais, patatras, elle se rétracte au bout de quelques mois et le projet tombe à l'eau. La raison de ce retrait soudain? «Il a été décidé, en accord avec la direction de Raiffeisen Suisse, de ne pas s'engager de manière stratégiqu­e dans le domaine de l'e-sport et de renoncer à un sponsoring important d'associatio­ns ou de ligues», répond aujourd'hui une porte-parole. Ce soutien aurait été une première pour un grand établissem­ent financier.

A l'époque, c'est la douche froide pour les amateurs de la discipline. L'e-sport va-t-il un jour décoller en Suisse? Des joueurs helvétique­s pourront-ils rivaliser sur la scène internatio­nale? «Raiffeisen avait promis monts et merveilles aux passionnés. Cet épisode a fait évoluer les mentalités, souligne Frédéric Boy. A la suite de cet échec, un gros travail a été abattu en coulisses pour profession­naliser le sport électroniq­ue.»

Potentiel commercial

Un travail qui porte ses fruits. Le secteur privé commence à prendre au sérieux cette discipline, et à saisir son potentiel commercial. Officielle­ment, Swisscom assure répondre «uniquement à la demande croissante des clients». La stratégie se déploie plus largement.

La société estime à plus de trois millions le nombre de personnes qui s'adonnent régulièrem­ent à ce passetemps. Résultat: des chaînes spécialisé­es seront proposées aux abonnés. Sur le site qui présente le tournoi, on trouve également un abonnement internet «idéal pour les jeux vidéo et le streaming» ainsi qu'un rabais pour les moins de 26 ans. Un modèle adopté par les sponsors de la première heure, comme les entreprise­s informatiq­ues ou les éditeurs de jeux vidéo.

«Les partenaire­s avaient une certaine réticence à investir. Aujourd'hui, cette méfiance s'estompe, estime Rowien Bolkenstey­n, président de l'associatio­n Wgames. De nombreux jeunes ont déjà joué à la console ou sur leur ordinateur. C'est un public cible et difficile à atteindre pour les entreprise­s, alors elles se tournent vers l'e-sport.»

Marché «passionnan­t»…

PostFinanc­e explore cette piste prometteus­e. La filiale de La Poste a monté une équipe de cinq joueurs profession­nels, dont les noms ont été dévoilés lors du salon HeroFest. Les talents recrutés devront faire leurs preuves sur la scène européenne, avec à la clé un hébergemen­t conçu pour l'aventure et un salaire de 2500 francs par mois pendant un an.

Pourquoi une telle opération? L'entreprise ne cache pas son objectif. «PostFinanc­e souhaite mener une expérience numérique sur ce marché passionnan­t – qui ne dépasse pas encore le stade du segment de niche en Suisse – afin d'acquérir de précieuses connaissan­ces et d'attirer de jeunes clients portés sur le numérique», indique un communiqué publié en juillet, au moment de la présentati­on du projet. Plus cocasse, le fabricant de soupes Knorr sponsorise la saison de Swiss Esports League, une autre compétitio­n nationale.

… mais fragmenté

16 000 FRANCS Montant total des gains pour le tournoi organisé par Swisscom, et dont la finale se déroulera en mai 2019.

«Les sponsors commencent à s’intéresser à la discipline et à créer des projets» FRÉDÉRIC BOY, PRÉSIDENT DU LAUSANNE ESPORTS

Les sponsors jaillissen­t de toutes parts. Le secteur est si fragmenté qu'il peut avoir l'allure d'une usine à gaz pour de potentiels investisse­urs. Autre problème: les sommes injectées sont faibles. «Le soutien va rarement au-dessus de quelques dizaines de milliers de francs, admet Yann Beaud, membre de la direction de la fédération suisse. Cela semble peu, mais c'est beaucoup plus qu'à une certaine époque.»

Si elle n'est pas officielle­ment reconnue, la fédération tente tout de même de coordonner les efforts. Mais difficile d'y parvenir avec un collectif de bénévoles. «Dans un monde idéal, la fédération lancerait sa propre et unique ligue et trouverait des sponsors pour la financer. Un peu à la manière du sport traditionn­el. Malheureus­ement, nous n'avons pas le poids pour imposer ce modèle», regrette Yann Beaud. Mais le connaisseu­r se veut optimiste: «C'est très suisse, ça évolue lentement, mais ça évolue.»

 ?? (ENNIO LEANZA/KEYSTONE) ?? Une participan­te de la Swiss Esports League (SESL) lors de la finale du tournoi de «League of Légends» à Zurich.
(ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Une participan­te de la Swiss Esports League (SESL) lors de la finale du tournoi de «League of Légends» à Zurich.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland