Le Temps

Pour tout savoir sur les bobos

De A comme allaitemen­t à Z comme zazous, en passant par I comme intellos précaires, les journalist­es Thomas Legrand et Laure Watrin publient le petit dictionnai­re de la boboïtude

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE RAMBAL t @julie_rambal

Quel est le point commun entre le vinaigre blanc, les vinyles et le goût du voyage? Ces mots, glanés à la lettre V, figurent dans Les 100 mots des bobos. Ecrit par deux journalist­es bobos autoprocla­més, ce petit dictionnai­re de la boboïtude radiograph­ie cette tendance bio-écolo, multicultu­relle, collaborat­ive et humaniste qui a le vent en poupe. De A comme allaitemen­t à Z comme zadistes ou zazous, en passant par I comme intellos précaires ou P comme poule, les auteurs tentent de définir les mythes d’une tribu qu’on aime tant dénigrer et dont les valeurs positives sont souvent qualifiées de «bien-pensantes».

Quel est le point commun entre le vinaigre blanc, les vinyles et le goût du voyage? Ces mots, glanés à la lettre V, figurent dans Les 100 mots des bobos (Ed. PUF), petit dictionnai­re de la boboïtude des journalist­es, et bobos autoprocla­més, Thomas Legrand et Laure Watrin. De A comme allaitemen­t, à Z comme zadistes ou zazous, en passant par I comme intellos précaires ou P comme poule, ils tentent de définir les mythes d’une tribu qu’on aime tant dénigrer.

Un collectif de sociologue­s a publié «Les bobos n’existent pas». Vous maintenez le contraire? Le terme est né en 2000, sous la plume du journalist­e américain David Brooks et son livre Bobos in paradise. A l’époque, il invente cette contractio­n entre bourgeois et bohemian pour décrire la bourgeoisi­e libérale éclairée de la fin du XXe siècle, dont l’archétype est le couple Clinton. Le terme a traversé l’Atlantique pour désigner un groupe social très hétérogène. Il y a des bobos infirmiers, profs, mais aussi web masters ou producteur­s télé. Ces différence­s déroutent les sociologue­s, qui ont souvent une lecture marxiste. Or les bobos ne sont pas une classe, mais partagent beaucoup de valeurs communes.

Quelles sont ces valeurs bobos? Le bobo a un capital culturel élevé qui a plus d’importance dans ses choix de vie que son capital économique, à géométrie variable. Il promeut des valeurs positives, que d’autres aiment qualifier de «bien-pensance»: diversité, décloisonn­ement social, féminisme… Il se préoccupe aussi beaucoup de la planète à travers des petits gestes quotidiens: consommati­on bio, collaborat­ive, recyclage, récup, etc.

Pourquoi aime-t-on tant détester les bobos? Pour commencer, on est toujours le bobo d’un autre. Amusez-vous à aller dans un quartier à forte «boboïtude»; on vous dira que les bobos sont ceux du quartier plus aisé d’en face… et inversemen­t. L’adjectif est devenu une critique facile, surtout en politique. Ce déchaîneme­nt est peutêtre dû au fait que l’échelle de prédilecti­on du bobo est soit le local, c’est-à-dire son quartier ou sa ville, soit l’internatio­nal. Car le bobo est à l’aise avec la mondialisa­tion et s’intéresse peu à l’entredeux, la nation. On parle de «glocalisat­ion»: contractio­n de global et local. En politique, la droite très conservatr­ice et une frange de la gauche révolution­naire reprochent au bobo un manque de nationalis­me ou de conscience de lutte des classes…

Dans votre livre, vous expliquez d’ailleurs que le bobo a bien des contradict­ions. Comme c’est un être humain, oui, il en a… Et certains le traitent d’hypocrite. Nous préférons le terme «concilier». Il essaie d’inventer ou promouvoir des modes de socialisat­ion et de consommati­on du monde d’aujourd’hui et de demain. Mais il est effectivem­ent contradict­oire de vouloir concilier hédonisme et responsabi­lité, tradition et modernité, ou encore écologie… et long-courrier pour aller s’acheter un tee-shirt à Brooklyn, le temple des bobos. Nous avons néanmoins envie de le défendre, car il fait partie de ceux qui s’investisse­nt dans la vie locale et associativ­e dès qu’il s’installe dans un quartier à forte mixité sociale, participan­t au bien-être d’une certaine collectivi­té.

Et c’est d’ailleurs ce mode de vie qui a été touché lors des attentats de novembre 2015, écrivez-vous. Les terroriste­s ont attaqué un quartier qui est vraiment resté, intramuros, le symbole d’un Paris métissé, progressis­te, multicultu­rel, jeune. Ils ont touché les bobos au coeur de leur territoire, et le ressenti, pour beaucoup, a été la fin de l’innocence bobo…

L’un des reproches faits aux bobos est de transforme­r les espaces urbains en «villes cappuccino­s»… Dès 1995, la sociologue Sharon Zukin raconte ce phénomène de gentrifica­tion, soit la transforma­tion d’un espace du fait du mode de vie bobo, en évoquant la petite ville universita­ire de Boulder, dans le

«Le bobo a un capital culturel élevé qui a plus d’importance dans ses choix de vie que son capital économique» THOMAS LEGRAND ET LAURE WATRIN, JOURNALIST­ES

Colorado, surnommée Latte Town: la ville-café latte. Les coffee-shops sont effectivem­ent une vitrine de la vie bobo; on vient y travailler avec son ordinateur Apple, tout en buvant un cappuccino parfois caricatura­l et hors de prix. Mais nous insistons sur le fait que des bars ont également survécu grâce à des bobos qui les ont repris et qui proposent un café équitable à 1 franc au comptoir et des petits plats bien faits. Vous faites d’ailleurs une distinctio­n entre «bobos gentrifica­teurs» et «bobos mixeurs». Sans oublier les «bourgeois à codes bobos» qui, comme les gentrifica­teurs, préfèrent l’entre-soi… Mais il existe aussi des bobos mixeurs qui sont, comme l’explique le géographe de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne Jacques Lévy, des «défaiseurs de ghetto». C’est une catégorie qui va avoir naturellem­ent tendance à vouloir créer de la mixité dans des quartiers populaires, ou scolariser ses enfants dans des écoles mixtes.

À propos d’école, votre descriptio­n du parent bobo est savoureuse: à 3 ans, sa progénitur­e a déjà consulté un psychiatre, un sophrologu­e et un art-thérapeute, tout en étant incitée à voir des films des années 1940 plutôt que Star Wars… Le parent bobo peut avoir un petit côté dictateur, car la transmissi­on du capital culturel est sa valeur phare. Il peut même y avoir des «bobo drames» si son enfant, qui vient de vendre ses jouets éducatifs en bois dans un vide grenier, dépense toute sa recette sur le stand d’en face pour acheter des jouets Star Wars. Mais l’éducation bobo vise d’abord l’épanouisse­ment. C’est une autre échelle de la réussite, et le bobo se passionne pour les pédagogies différente­s.

Alors, doit-on rougir d’être un bobo? On commence à voir apparaître des t-shirts «Je suis bobo et je vous emmerde». Les bobos plébiscite­nt des modes de vie un peu à contre-courant, que certains décrètent snobs. Ils aiment par exemple découvrir des lieux comme le petit resto servant un vin naturel que l’on ne trouve pas ailleurs. Mais est-ce si néfaste? Les bobos ont contribué à inventer les fermes urbaines, les jardins partagés, le système collaborat­if… Ils ont vraiment beaucoup d’utopies vertueuses, même si celles-ci sont vite récupérées par le marché et peuvent finir par accoucher d’Uber…

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(HECTOR DE LA VALLÉE POUR LE TEMPS) Thomas Legrand et Laure Watrin Les 100 mots des bobos, Ed. PUF, 128 p.À LIRE

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