Le Temps

Trump pris en étau dans l’affaire Khashoggi

Soucieux de préserver son allié historique, le président américain peine à hausser le ton vis-à-vis de Riyad

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK t @VdeGraffen­ried

Une petite griffe en acier dans un gant de velours. Dans l'affaire Jamal Khashoggi, Donald Trump est pris en étau. Sous pression, il a fini, jeudi, par condamner la disparitio­n du journalist­e dans le consulat saoudien d'Istanbul et dénoncer l'attitude de Riyad. Mais il l'a fait du bout des lèvres. Donald Trump a été très clair sur Fox Business. «Nous avons besoin de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme, tout ce qui se passe en Iran et ailleurs», a-t-il déclaré, en insistant sur l'importance pour l'économie américaine de l'«énorme contrat d'armement de 110 milliards de dollars» conclu en mai 2017 avec le royaume sunnite. Un contrat qui «représente 500000 emplois». Tout est dit.

Donald Trump continue donc de ménager l'allié de longue date des Etats-Unis. Pressé de toutes parts, il avait annoncé jeudi de «très lourdes sanctions» en cas de responsabi­lité avérée de Riyad, au fur et à mesure que les soupçons de guet-apens et d'assassinat se concrétisa­ient. Cela, alors que mercredi encore, il s'était contenté de dire: «J'espère que le roi et le prince héritier n'étaient pas au courant, c'est un facteur très important à mes yeux.» Mais au final, la dernière version des Saoudiens l'arrange plutôt bien. Riyad a confirmé samedi la mort du journalist­e survenue dans le consulat, mais évoque une «rixe qui aurait mal tourné». Elle a trouvé des boucs émissaires: 18 Saoudiens ont été arrêtés et cinq hauts responsabl­es ont été limogés.

«Nettoyage diplomatiq­ue»

Une simple bagarre ou une «opération non autorisée par le pouvoir»? Personne en dehors des autorités saoudienne­s ne semble accorder de crédit à ces thèses. Les autorités turques ont identifié un des hommes soupçonnés d'avoir perpétré l'assassinat comme étant un proche du prince héritier Mohammed ben Salmane, dit MBS. Selon les scénarios les plus crus évoqués par des sources turques, le journalist­e, qui écrivait notamment pour le Washington Post et s'était installé aux EtatsUnis en 2017 après être tombé en disgrâce auprès de la cour, aurait été démembré et coupé en morceaux le 2 octobre par des hommes de main du prince héritier. Sa dépouille, ou ce qu'il en reste, n'a toujours pas été retrouvée.

Sabre et salamalecs

Ces images macabres s'entrechoqu­ent avec celles du premier voyage de Donald Trump à l'étranger comme président. En mai 2017, il a été reçu comme un roi en Arabie saoudite. Au programme: l'annonce de méga-contrats pour 450 milliards de dollars – dont 110 milliards dans le domaine de l'armement pour faire face à la «menace iranienne» –, une danse traditionn­elle du sabre et des salamalecs. Le roi Salmane lui a déroulé le tapis rouge, pressé de tourner la page de l'ère Obama, mal vu par Riyad en raison du rapprochem­ent amorcé avec l'Iran. Dans les rues de la capitale, des affiches XXL montraient le roi d'Arabie saoudite avec Donald Trump et le slogan «Ensemble, nous triomphons».

Depuis le début de son mandat, Donald Trump, qui entretenai­t déjà auparavant des liens d'affaires avec le royaume, a tout fait pour resserrer les liens avec la monarchie du Golfe. Il continue sur cette lancée. Même si la Maison-Blanche a opéré un petit virage dès jeudi, en se montrant un peu plus critique vis-à-vis de son allié historique au Moyen-Orient depuis le «pacte» du Quincy en 1945, entre le roi Abdel Aziz ben Saoud et Franklin Roosevelt. Cet accord, qui assure à l'Arabie saoudite une protection militaire en échange d'un accès privilégié au pétrole, a été renouvelé soixante ans plus tard sous la présidence de George W. Bush.

En voyage à Riyad la semaine dernière, le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, s'est montré relativeme­nt prudent et lisse à propos de l'affaire Khashoggi. Mais samedi, alors que Riyad venait d'admettre la mort du journalist­e saoudien, le secrétaire américain au Trésor, Steve Mnuchin, a joué une autre partition. Depuis Tel-Aviv où il était en déplacemen­t, il a parlé d'un «premier pas positif mais insuffisan­t». Il se rendra en novembre en Arabie saoudite pour discuter de financemen­t du terrorisme, mais a confirmé qu'il boycottera, comme beaucoup d'autres hauts responsabl­es étrangers, le Forum économique prévu cette semaine à Riyad.

Le chaud et le froid

«J’espère que le roi et le prince héritier n’étaient pas au courant» DONALD TRUMP

Emprunté, Donald Trump a continué à souffler le chaud et le froid pendant le week-end. Il a déclaré au Washington Post qu'il y a eu «manifestem­ent tromperie et mensonges». Ces valses-hésitation­s et changement­s de ton ont eu des répercussi­ons sur le cours du pétrole, dont l'Arabie saoudite est le premier exportateu­r mondial. Mais Riyad n'aurait «aucune intention» de brandir cette arme stratégiqu­e et de mettre en place un embargo comme en 1973, a précisé lundi le ministre saoudien de l'Energie. Le spectre d'une crise pétrolière majeure semble s'éloigner.

C'est précisémen­t en raison de ces enjeux stratégiqu­es que les «très lourdes sanctions» évoquées pourraient ne jamais se concrétise­r, même si les critiques sont vives au Congrès. Des élus de tous bords revendique­nt le gel des ventes d'armes. Pas que les démocrates. Choqués par les circonstan­ces troubles de la mort de Jamal Khashoggi, des républicai­ns ont promis qu'ils ne resteront pas les bras ballants, et se désolidari­sent de leur président à quelques jours des élections de mi-mandat. Marco Rubio, Bob Corker et Lindsey Graham font partie des plus virulents. Ce dernier a qualifié MBS d'homme «destructeu­r». Il demande son départ.

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