Face à l’extrême droite, l’impossible front républicain
Le candidat du Parti des travailleurs, Fernando Haddad, est isolé. Les rancoeurs empêchent la constitution d’une coalition qui pourrait empêcher l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro
L’heure est grave et pourtant. Il n’y a pas de «front républicain» au Brésil pour tenter d’empêcher une victoire imminente de l’extrême droite. Son candidat Jair Bolsonaro (Parti social-libéral, PSL), qui refuse toujours de prendre part aux débats, est le grand favori du second tour de la présidentielle du 28 octobre. Son adversaire du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad, est isolé. Seuls des partis de gauche se sont ralliés à l’ex-maire de São Paulo. Le centre et la droite, en revanche, ne lui ont pas emboîté le pas. «Nous nous attendions à un alignement naturel au vu des risques qui pèsent sur la démocratie», a regretté Gleisi Hoffmann, la présidente du PT, formation qui a gouverné le pays treize ans durant, avec Lula, puis Dilma Rousseff, destituée en 2016.
Figure respectée, l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (1995-2003) a suscité l’émoi en affichant sa neutralité dans le sillage de sa formation, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre droit), qui ne participera pas au second tour pour la première fois depuis 1994. «C’est d’une lâcheté inadmissible», dit le politologue Fernando Limongi. «C’est comme si, aux Etats-Unis, Bernie Sanders affrontait David Duke (leader suprémaciste blanc) et que les Clinton restaient neutres», compare le sociologue Celso Rocha de Barros.
Mais entre les deux principaux partis brésiliens, PT et PSDB, un rapprochement semble impossible. «Il y a eu une spirale de délégitimation réciproque, explique le politologue Claudio Gonçalves Couto. Le PT, alors dans l’opposition sous la présidence de Cardoso, avait exigé sa destitution. Le PSDB, quant à lui, a pris une part active à l’impeachment de Dilma Rousseff.»
Trahison
Même chose au centre gauche. Arrivé troisième avec 12,47% des suffrages exprimés au premier tour, le 7 octobre, Ciro Gomes est parti en vacances à peine les résultats connus. S’il pourfend le «fascisme», celui qui fut le candidat du Parti démocratique travailliste n’appelle pas à voter Haddad pour autant. Ancien ministre de Lula, auquel il était resté fidèle, Ciro Gomes s’est senti trahi. Depuis sa cellule, où il purge une peine de prison pour corruption, le leader de gauche avait manoeuvré pour l’isoler, en persuadant l’important Parti socialiste brésilien de ne pas s’allier à lui. Pour tenter de ratisser large, Fernando Haddad a esquissé le mea culpa exigé du PT, en cause dans une tentaculaire affaire de financement occulte des partis. Il s’est démarqué aussi de sa famille politique, qui refuse toujours de condamner la dérive autoritaire de Nicolás Maduro au Venezuela. Trop tard. Tous semblent avoir jeté l’éponge.
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La neutralité affichée par le PSDB? «Une lâcheté inadmissible» FERNANDO LIMONGI, POLITOLOGUE