Le régime de contrôle des armes nucléaires en recul
La décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire pourrait avoir des conséquences incalculables. Dans ce contexte, la proposition de la Suisse et de la Suède d’interdire les missiles de croisière devient encore plus importante
Le régime de contrôle des armes nucléaires est-il en train de tomber en lambeaux? L'annonce samedi par Donald Trump du retrait des Etats-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) a semé un vent si ce n'est de panique du moins de grande préoccupation au sein des milieux liés à la sécurité de l'Europe. Conclu en 1987 par le président américain Ronald Reagan et le dernier leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev, il est toujours considéré comme un élément fondamental de l'architecture de contrôle des armes nucléaires, il est le premier traité d'envergure de désarmement nucléaire. Il interdit l'usage de missiles d'une portée de 500 à 5000 kilomètres. Ces armes sont particulièrement dangereuses, car elles réduisent le temps de réaction à une frappe nucléaire à 10 minutes au lieu de 30 minutes pour des missiles balistiques intercontinentaux. Il n'y a pas de vraie défense contre les missiles de croisière.
L’Allemagne traumatisée
L'Union européenne est consciente des risques de cette escalade. Elle a rapidement appelé tant Washington que la Russie à préserver le traité. Mais le Vieux Continent n'est pas unanime. Le ministre britannique de la Défense, Gavin Williamson, appuie avec force la décision américaine. En Allemagne, le traumatisme des années 1980 a laissé des traces. L'installation acceptée par le chancelier Helmut Schmidt de missiles Pershing après que l'Union soviétique eut déployé des missiles SS-20 avait provoqué de violences manifestations.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a situé les enjeux: «Le traité […] a été un pilier important de l'architecture sécuritaire européenne depuis trente ans.» Et le responsable d'ajouter qu'il a régulièrement sommé la Russie, soupçonnée de violer le FNI, de se conformer à ses obligations. Aujourd'hui, il exhorte Washington à considérer les conséquences possibles de son acte. La France, jusqu'ici, est restée étonnamment silencieuse. Quant à Moscou, il juge la décision américaine «très dangereuse».
Principal conseiller en matière d'armes de destruction massive des secrétaires à la Défense Robert Gates, Chuck Hagel et Leon Panetta, Andrew Weber le confie au Temps: «La fanfaronnade de Trump en amont de la visite lundi à Moscou de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, est soit du bluff pour forcer la Russie à respecter le traité, soit un abandon du plus important traité nucléaire pour la sécurité de l'Europe.»
John Bolton, un faucon qui sévissait déjà dans l'administration Bush, est convaincu depuis des années que Washington doit se retirer du FNI. Il a fait pression sur Donald Trump pour que le président agisse dans ce sens. Les justifications de la Maison-Blanche sont univoques: Moscou viole le FNI en développant des missiles de courte et moyenne portée qui pourraient servir d'intercepteurs et qui enfreindraient les obligations du traité. De son côté, la Russie estime que les Américains ont aussi manqué à leurs obligations en déployant en Roumanie et en Pologne un bouclier antimissile certes revu à la baisse par le président Barack Obama, mais perçu comme une agression par Moscou.
Risque de guerre
De fait, le FNI a permis de retirer et de détruire près de 3000 missiles dotés de têtes nucléaires et conventionnelles. Il constitue d'ailleurs une importante contribution aux obligations imposées aux Etats nucléaires par le Traité de non-prolifération nucléaire en son article VI. Mais les Etats-Unis et la Russie déplorent que la Chine ne fasse pas partie d'un tel traité et qu'elle puisse développer son propre arsenal sans contrainte. Dans ce contexte, Andrew Weber le souligne: «Comme la Russie et les Etats-Unis se plaignent du fait que la Chine n'est pas contrainte par le traité, la proposition de la Suisse et de la Suède de promouvoir une interdiction globale des missiles de croisière nucléaires, des armes très dangereuses, est de la plus grande importance.»
L'ex-conseiller du chef du Pentagone ne cache pas ses vives inquiétudes si le retrait américain est confirmé. Un tel retrait permettrait un retour de tels missiles en Europe et accroîtrait le risque de guerre nucléaire sur le continent. Sa crainte va même au-delà: «Si les Etats-Unis se retirent du FNI, le nouveau traité Start de réduction des armes stratégiques, qui expire dans un peu plus de deux ans, pourrait bien être la prochaine victime. La Russie a appelé à une extension du traité Start jusqu'en 2026. Mais jusque-là, Washington a refusé.»
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