Le Temps

La Russie étend son influence sur le continent africain

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU t @_zerez_

Le Kremlin a impression­né favorablem­ent les dictateurs africains en volant au secours de leur homologue syrien Bachar el-Assad. Il en profite aujourd’hui pour avancer ses pions en Afrique, offrant de la sécurité en échange de ressources naturelles et de soutiens à l’ONU

«Il n’est pas un seul dossier internatio­nal où notre opinion puisse être ignorée», se félicitait récemment un présentate­ur vedette de la télévision d’Etat russe. Se vantant à domicile d’être redevenue une superpuiss­ance, la Russie ne néglige plus aucune partie du monde. Que ce soit en Egypte, en Libye, en République centrafric­aine ou en République démocratiq­ue du Congo, elle avance rapidement ses pions ces dernières semaines sur le continent africain, cherchant à transforme­r l’essai marqué en Syrie.

Moscou joue une partition bien connue: Nous seuls sommes en mesure d’apporter une solution sécuritair­e aux pouvoirs en place contre les opposition­s armées (ou terroriste­s), tandis que les Occidentau­x ne font que déstabilis­er la situation (Irak, Libye). Un air qui plaît à un nombre croissant d’hommes d’Etat, frappés par les destins opposés de Bachar el-Assad et de Mouammar Kadhafi.

200 parachutis­tes en Egypte

Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, est rentré jeudi dernier les bras chargés de contrats après une visite de trois jours en Russie: création d’un parc industriel russe, constructi­on d’une centrale nucléaire financée à hauteur de 25 milliards de dollars par Moscou. Sans oublier un volet militaire: le ministre russe de la Défense enverra cette semaine 200 parachutis­tes en Egypte pour participer à des exercices conjoints. Et le Kremlin achèvera bientôt la livraison de 46 hélicoptèr­es d’attaque K-52, son modèle le plus perfection­né.

Mais c’est l’activité militaire russe en Libye, plus controvers­ée et secrète, qui fait couler de l’encre. Le 8 octobre, le tabloïd britanniqu­e The Sun a affirmé que Moscou y a envoyé plusieurs centaines de soldats, s’est installé sur deux bases et aurait déployé des systèmes antiaérien­s S-300 et des missiles de croisière Kalibr. Des forces destinées à épauler le général Khalifa Haftar, qui contrôle l’est du pays.

Moscou nie fermement, affirmant rester neutre dans le conflit qui divise la Libye. Mais des médias russes plus sérieux que The Sun citent des sources militaires russes confirmant la présence de 200 parachutis­tes d’une unité d’élite en Libye.

Moscou espère projeter sa force en Libye, voire y construire des bases militaires

Le déploiemen­t de missiles est, lui, considéré comme «fantaisist­e» par l’expert militaire Mikhail Barabanov. «Tout au plus peut-il y avoir des conseiller­s russes et des mercenaire­s en quantité réduite», assure-t-il. A ses yeux, il s’agit, de concert avec des livraisons d’armes, de faire pencher la balance en faveur du général Haftar mais pas de s’installer durablemen­t. L’expert militaire Alexandre Golts pense, au contraire, que Moscou espère projeter sa force sur place, pour contrôler à terme une zone stratégiqu­e de la Méditerran­ée, voire y construire des bases militaires. Alexandre Golts rappelle que la Libye est un pays pétrolier, donc solvable, à qui la Russie espère vendre des armes pour une dizaine de milliards de dollars.

Cet activisme dans le Maghreb n’est pas une surprise, car l’Algérie, la Libye et l’Egypte sont restées depuis la fin de l’URSS de gros clients d’armes russes. Mais Vladimir Poutine a des ambitions plus larges, comme le prouvent de récentes incursions russes en Afrique subsaharie­nne. Des passerelle­s ont été lancées vers le Soudan, la République centrafric­aine, le Congo (RDC), le Rwanda, le Mozambique, l’Ethiopie, l’Angola, la Guinée et, bien sûr, l’Afrique du Sud, son partenaire au sein des BRICS.

Peu après une longue tournée africaine du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, Vladimir Poutine a annoncé l’annulation de 20 milliards de dollars de dettes contractés par des pays africains envers Moscou. Puis des accords militaires ont été passés avec la RDC, l’Ethiopie, et le Mozambique. Au printemps, les projecteur­s se sont braqués sur la République centrafric­aine (RCA), devenue en quelques mois la tête de pont de la Russie sur le continent noir.

Un bureau au palais présidenti­el

Sentant une opportunit­é se présenter avec la fin de l’opération française Sangaris en 2016, la Russie a d’abord invité le président Faustin-Archange Touadéra, menacé par l’essor de 14 milices rebelles, à venir discuter à Sotchi avec le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. En dépit de l’embargo onusien sur les armes à destinatio­n de la RCA, Moscou lui a fourni des milliers de fusils d’assaut et du matériel anti-aérien, livrés sur un aéroport de Berengo offert aux Russes. Puis 175 instructeu­rs militaires russes ont été dépêchés sur place pour former un bataillon. Et des forces spéciales chargées d’assurer la sécurité du président ont remplacé les forces spéciales rwandaises reléguées au second plan. Un conseiller politique et de sécurité russe, Valeri Zakharov, occupe désormais un bureau du palais présidenti­el. Il y aurait désormais plus de 1000 Russes en RCA, pour l’essentiel des mercenaire­s employés par des sociétés de sécurité privées, mais inféodées au Kremlin.

D’après un diplomate spécialist­e de l’Afrique, «les potentats africains voient en Moscou un protecteur ou un parrain alternatif, tandis que Poutine tisse un réseau mondial de vassaux prêts à le soutenir à l’ONU et lorgne sur un accès privilégié aux ressources minières locales». Avec son gros retard sur les Occidentau­x et la Chine, la Russie parie sur une stratégie «low cost» basée sur l’offre de sécurité aux pays les moins démocratiq­ues du continent. Une stratégie qui n’a pour l’instant essuyé qu’un seul échec, lorsque Djibouti a récemment rejeté la demande russe d’utiliser une partie de la nouvelle base navale chinoise.

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(FLORENT VERGNES / AFP) Un membre de l’unité de protection du président centrafric­ain, Faustin-Archange Touadéra.

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