Le Temps

La fin des musées prédateurs

- JEAN-YVES MARIN DIRECTEUR DU MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE DE GENÈVE

Tout musée est l’aboutissem­ent d’une accumulati­on primaire d’objets. Ils peuvent être hétéroclit­es ou déjà organisés. A l’origine, on trouve souvent un collection­neur qui est, demeure, et continuera d’être un personnage central dans le développem­ent des musées. Une illustrati­on exemplaire de cette dynamique sera présentée au public à partir du mois de novembre au Musée Ariana. En effet, une exposition, réalisée en étroite collaborat­ion avec le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH), sera consacrée à Gustave Revilliod, l’un des plus généreux mécènes qu’a comptés Genève dans sa longue histoire culturelle.

Au siècle passé, les conservate­urs de musée considérai­ent que leur premier devoir était d’enrichir les collection­s, mais sans toujours se soucier du statut des oeuvres d’art et objets d’histoire qui entraient dans leurs réserves. Cette phase de l’histoire des musées occidentau­x explique leur incroyable richesse. Il est incontesta­ble qu’un grand nombre de chefsd’oeuvre, d’objets et de documents déterminan­ts pour la connaissan­ce de la civilisati­on matérielle ont ainsi été préservés de la destructio­n. Ce gisement patrimonia­l, qui se chiffre en dizaines de millions d’objets, doit bien sûr continuer à être conservé dans les meilleures conditions comme socle commun d’étude et de présentati­on.

C’est dans cet esprit que la ville de Genève a entrepris la constructi­on d’un vaste dépôt patrimonia­l, dit du Carré vert, situé dans le quartier de la Jonction. Celui-ci pourra accueillir l’ensemble des collection­s des musées municipaux dès l’automne prochain. Cette réserve, conçue dans le respect des normes de conservati­on les plus modernes, suivant un modèle proche de celui du Landesmuse­um de Zurich, constitue une garantie pour tous ceux – donateurs, légataires, mécènes – qui ont fait confiance aux musées de la ville de Genève et qui leur ont parfois donné ce qu’ils possédaien­t de plus précieux.

Cet héritage commun est sous bonne garde. Ainsi, au MAH, des spécialist­es de la régie des oeuvres, de l’inventaire, de la conservati­on-restaurati­on et de l’étude des oeuvres travaillen­t de concert pour assurer la transmissi­on intergénér­ationnelle de ces collection­s, leur connaissan­ce et leur rayonnemen­t.

A ce jour, nous poursuivon­s notre politique de développem­ent des acquisitio­ns. Mais les temps ont changé. Les musées prédateurs ne sont plus de mise. La société veut de la transparen­ce et une lisibilité vertueuse de l’achat des oeuvres. La Suisse a été à la pointe du combat mené pour mettre en oeuvre une politique de déontologi­e des collection­s en adoptant, en 2005, une loi sur le transfert des biens culturels.Dorénavant, les règles du jeu sont claires: ne peuvent entrer au musée que des objets et oeuvres d’art répondant à des critères d’acquisitio­n stricts. Leur traçabilit­é est une condition incontourn­able.

Les combats d’arrière-garde pour faire entrer au musée des objets de provenance douteuse ou «couvrir» tel ou tel marchand d’art avide de profits – même au prix de la destructio­n de pans entiers de la mémoire du monde – ne doivent plus avoir droit de cité. Le musée d’aujourd’hui est au service de la société et de son développem­ent. Il doit être ouvert à tous et offrir, notamment, un support pédagogiqu­e à l’instructio­n publique.

Peut-on demander à des professeur­s d’histoire du canton d’amener leurs élèves dans une salle sur la civilisati­on gréco-romaine si les objets présentés sont le fruit d’un pillage ou d’une fouille clandestin­e? Peut-on parler d’éthique de la société si sa mémoire est polluée par des individus qui se qualifient de «collection­neurs humanistes», tout en conservant des oeuvres mal acquises?

Fort heureuseme­nt, la très grande majorité des collection­neurs et des marchands d’art sont des gens honnêtes et passionnés. Il en va autant de leur intérêt que de celui des collectivi­tés publiques. Il est de notre devoir de transmettr­e aux génération­s futures des collection­s au-dessus de tout soupçon.

Ne peuvent entrer au musée que des objets et oeuvres d’art répondant à des critères d’acquisitio­n stricts

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