Le Temps

Comment Ikea veut redorer son blason

Ecornée dans les médias pour son approvisio­nnement en bois, la multinatio­nale du meuble livre sa version de l’histoire, en Transylvan­ie. L’occasion de mettre à l’épreuve sur le terrain un concept industriel qui se veut de plus en plus durable

- RACHEL RICHTERICH, STRAMBU BAIUT t @RRichteric­h

Fabriquer des objets qui sont à la fois beaux, fonctionne­ls, solides, respectueu­x au plan environnem­ental et social, et bon marché. C’est sur ces cinq piliers qu’Ikea bâtit son concept dénommé «design démocratiq­ue». Et c’est sur le terrain que le géant suédois de l’ameublemen­t l’a présenté la semaine dernière, invitant une dizaine de journalist­es des quatre coins du monde. Son fil rouge, le bois. Une ressource représenta­nt 60% de la valeur marchande de l’assortimen­t d’Ikea, qui en utilise 21 millions de mètres cubes par année, soit 1% de la consommati­on mondiale totale.

1•GONFLÉ, SUR LA FORME

Sur la forme, c’est plutôt culotté: Ikea choisit pour sa visite la Roumanie, un pays qui a déjà connu son lot de scandales pour des abattages de forêts protégées et demeure à risque, puisqu’elle abrite deux tiers des dernières forêts vierges d’Europe. Pourquoi la Roumanie, où Ikea n’effectue que 3,5% de ses achats, contre 28% en Chine ou 18% en Pologne? Le géant de l’ameublemen­t y traîne quelques casseroles, largement médiatisée­s, et veut de son propre aveu montrer patte blanche.

A notre arrivée, les tronçonneu­ses rugissent. Nous sommes accueillis près de Strambu Baiut par des agents de Romsilva, l’organisme gouverneme­ntal chargé de la surveillan­ce des forêts. Leur recensemen­t des forêts est effectué avec un approche commercial­e. Sur ce constat, le groupe de journalist­es quitte les collines rougeoyant­es pour la zone industriel­le de Sighetu Marmatiei, où se trouvent certains des fournisseu­rs du géant suédois.

2•UN OBJET SIMPLE DU QUOTIDIEN

Prenons un objet à la fonctionna­lité simple; une chaise. Celle qui fait tourner l’entreprise de Vasile Godja depuis bientôt une trentaine d’années s’appelle Terje, pliante et reconnaiss­able à son dossier percé. Son entreprise, c’est Plimob, dont la manufactur­e ressemble à s’y méprendre à un magasin Ikea – même code couleur, même forme. Mais à l’instar de son millier d’autres fournisseu­rs, le groupe suédois n’en est pas propriétai­re, précise son responsabl­e des achats et de la logistique en Europe du sud-est et au Pakistan, Jarek Kowalski. Même si Plimob lui doit 98% de son chiffre d’affaires, grâce à Terje, essentiell­ement.

3•DU FAIT MAIN, OU PRESQUE

Rien à dire, Terje fait le job. Il faut dire que la bonne vingtaine de manipulati­ons manuelles à l’usine contribue à tester sa qualité. Si l’automatisa­tion des tâches est l’une des priorités de Vasile Godja, elle est progressiv­e, en raison de l’investisse­ment considérab­le qu’elle représente.

4•DURABILITÉ À NUANCER

On est surtout venu pour ça. Et Ikea aussi d’ailleurs. «De manière générale, nous visons un approvisio­nnement en bois provenant à 100% de sources plus durables d’ici à 2020», vante Mikhaïl Tarasov, chef de la gestion des forêts auprès de la firme. D’accord, mais combien plus durable? Et plus durable par rapport à quoi? Sur l’ambiguïté de sa phrase, le responsabl­e botte en touche. «Nous exigeons de tous nos fournisseu­rs qu’ils ne travaillen­t plus qu’avec du bois certifié ou recyclé», enchaîne Jarek Kowalski.

Le label censé en attester, c’est le Forest Stewardshi­p Council, abrégé FSC. Sa crédibilit­é a été sérieuseme­nt mise en doute, depuis le scandale Schweighof­er, du nom du négociant autrichien accusé d’avoir vendu du bois illégaleme­nt abattu: l’entreprise a continué à bénéficier du label jusqu’en 2017 alors que le WWF allemand signalait, en 2015 déjà, les irrégulari­tés.

L’autre point faible du label porte sur l’existence d’une version allégée, le FSC Mix. Cette alternativ­e permet aux industriel­s d’ajouter à leurs produits du bois dit «contrôlé», mais avec des standards moins stricts que ceux imposés par le 100% FSC.

En attendant, «il demeure le meilleur label existant à ce jour», insiste-t-il. Et Terje est constituée à 100% de bois FSC nous assuret-on.

5•A QUEL PRIX?

C’est justement le prix qui fait pencher l’édifice Ikea. Car si la cote de la matière première a bondi, Terje coûte toujours 17,95 francs sur le catalogue suisse. Et le prix auquel le géant suédois achète le produit fini à ses fournisseu­rs n’a pas augmenté. Les marges de Plimob s’effritent et difficile de rogner sur les salaires de la main-d’oeuvre déjà très bas (le minimum net est de 400 euros mensuels). La pression subie par les fournisseu­rs est d’autant plus forte qu’ils ne sont pas propriétai­res du design. Libre à Ikea de changer de fournisseu­r.

Ni blanc, ni noir, encore moins vert, de l’avis de la plupart des ONG (WWF et Greenpeace notamment), Ikea se classe pourtant au rang des bons élèves pour avoir intégré et concrétisé un certain nombre d’exigences environnem­entales et sociales dans son coeur de métier.

Des efforts sont faits. Beaucoup reste à faire, «mais dans un contexte de production globalisée, il est illusoire de croire que nous pourrons contrôler les fournisseu­rs de chacun de nos fournisseu­rs. Tout comme l’approvisio­nnement local demeure un mythe, à notre échelle», lâche finalement entre deux visites un représenta­nt de l’entreprise.

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(ADRIAN SCUTARIU/ IKEA) Le géant suédois de l’ameublemen­t s’approvisio­nne notamment dans les forêts de hêtres de Transylvan­ie.

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