Le Temps

«The Haunting of Hill House», hantises intérieure­s

- NICOLAS DUFOUR t @NicoDufour

La nouvelle série d’épouvante de Netflix adapte un classique de la littératur­e fantastiqu­e. Elle raconte surtout l’histoire d’une famille déchirée, que révèle la maison hantée

«Hill House se dressait toute seule, malsaine, adossée à ses collines. En son sein, les ténèbres.» Voilà qui figure dans le premier paragraphe du roman Maison hantée (The Haunting of Hill House), de Shirley Jackson, classique de la littératur­e fantastiqu­e de 1959, disponible chez Rivages. Netflix propose une adaptation du roman fort éloignée, mais pas infidèle, moins histoire d’horreur que fable sur une famille qui se dévore.

Le roman: dans ce bâtiment à pignons et tourelles – d’où l’on peut se pendre –, le professeur Montague, parapsycho­logue en quête de reconnaiss­ance, invite deux jeunes femmes dotées de quelques pouvoirs afin d’analyser la maison, en compagnie du fils de la propriétai­re. La romancière créait Eléonore et Théodora, deux beaux personnage­s de femmes, l’une libre et pétillante, l’autre introverti­e en cours d’émergence. Cette résidence, qui dure une semaine, a pour but de noter les événements bizarres qui doivent se produire dans cette maison réputée hantée. Cela finit mal.

Des frères et soeurs divisés

Adapté à plusieurs reprises au cinéma, à commencer par Robert Wise (La maison du diable, en 1963), le roman de Shirley Jackson est repris dans la série comme une matière initiale, non une fondation. Le cinéaste Mike Flanagan, qui a récemment porté sur grand écran le Jessie de Stephen King, s’empare de la maison hantée pour la situer à la genèse de son histoire, pas en son centre. Personne n’entre dans la maison pour y mourir de frayeur: en fait, les sept personnage­s principaux, au total, y ont vécu naguère. Et ils en paient le prix.

The Haunting of Hill House commence des années après le séjour d’une famille dans la sinistre demeure, les Crain. La mère est décédée durant la nuit de leur fuite, dans des circonstan­ces qui constituen­t l’un des grands secrets de l’histoire. Le père a survécu, constant naufragé, en Floride. Les cinq enfants, trois soeurs (dont une Eléonore et une Théodora) et deux frères, ont pris leurs distances les uns des autres. L’un des frères publie des livres sur des maisons hantées et des possession­s, dont le compte rendu de leurs propres malheurs, ce qui lui vaut la détestatio­n de presque tous les autres.

Le feuilleton de 10 épisodes commence par la mort de l’une des soeurs. Une autre, employée de pompes funèbres, insiste pour s’occuper de son corps. Le deuil, qui semblait déjà rester le seul liant des cinq enfants après la disparitio­n de la mère, les rassemble à nouveau, pour le meilleur et le pire.

Pas seulement une série d’épouvante

Contrairem­ent à ce que laisse penser la lourde promotion de la série, The Haunting of Hill House n’accumule pas les effets horrifique­s et les frayeurs. Elle fait peur, oui, à l’image de la mythique maison dont elle arpente les couloirs, avec ces horribles coups contre les murs venus de nulle part. Les flash-back renvoient aux nuits d’épouvante vécues par les filles et les garçons. L’épisode 1x05, qui entrecoupe veillée funéraire actuelle et déchaîneme­nt de naguère dans la bâtisse, noue une tension vraiment effrayante, au moyen de plans-séquences.

Mais il est surtout question de hantises intérieure­s. Le contexte de funéraille­s peut faire penser à Six Feet Under, et le parallèle n’est pas si tarabiscot­é. C’est une famille déchirée qui se livre peu à peu, et qui montre son impuissanc­e initiale à surmonter le traumatism­e. «Personne ne me croit», ne cesse de se plaindre le petit Luke derrière ses lunettes-loupes, quand il a vu un zombie au sous-sol; adulte, c’est un camé jusqu’au bout des cheveux, qui répète la même complainte. Sous les lambris tremblants et derrière les portes hurlantes, The Haunting of Hill House conte une faillite familiale dont le prix, sans doute presque toujours, est la mort.

Mike Flanagan a fait un choix original par rapport à la vénérable source dont il s’est inspiré, et il apparaît plus fidèle qu’il n’y paraît. L’édifice dans les collines ne représente plus l’enjeu du moment présent, mais le poids du passé qui fait souffrir à chaque instant. Dans les deux cas, la maison révèle des angoisses fatales.

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