Le Temps

Des pistes pour prévenir le harcèlemen­t scolaire. Nos offres d’emploi

Vivre ensemble n’est pas un état de fait. C’est une valeur qui s’apprend et se cultive

- AMANDA CASTILLO t @Amanda_dePaulin

Le harcèlemen­t est une des formes de violence les plus courantes dans le monde scolaire. En Suisse, il toucherait 5 à 10% des élèves, selon une étude réalisée dans le canton du Valais. «C’est un peu moins que la moyenne internatio­nale, qui se situe entre 5 et 15%, mais on peut dire que presque un élève par classe est concerné», souligne à cet égard Zoé Moody, collaborat­rice de recherche au Centre interfacul­taire en droits de l’enfant de l’Université de Genève.

Fait inquiétant, les statistiqu­es suggèrent que moins de 15% des enfants signalent des actes de harcèlemen­t scolaire. Ce chiffre s’explique cependant aisément. «Lorsque la parole se libère, elle n’est pas forcément protégée, note l’écrivaine Sonia Feertchak. Certains enseignant­s n’intervienn­ent pas, car ils considèren­t que les enfants harcelés ont les capacités pour se défendre seuls. Ceux-ci sont alors victimes deux fois: du harceleur et de la non-empathie des adultes.»

Autrement dit, si les châtiments et les sévices n’ont plus cours dans les établissem­ents scolaires, la violence des enseignant­s se situe de nos jours sur le terrain de l’abandon et de l’indifféren­ce. Certaines situations de harcèlemen­t en milieu scolaire sont si intenses et fréquentes que la victime n’y voit qu’une issue: le suicide.

Enseigner l’empathie

Existe-il une raison pour laquelle un élève devient victime de harcèlemen­t scolaire? Selon plusieurs experts en éducation, le harcèlemen­t scolaire résulte notamment du rejet de la différence ainsi que de la stigmatisa­tion de certaines caractéris­tiques telles que le fait d’appartenir à un groupe social minoritair­e au sein de l’établissem­ent, ou encore le fait d’être bègue, en surpoids, ou efféminé.

Comment prévenir ce fléau? Pour Sonia Feertchak, il est essentiel d’enseigner dans les salles de classe l’empathie. «Il y a un déficit d’empathie chez le harceleur. En lui faisant prendre conscience que ses actions ont des effets douloureux sur autrui, on peut l’amener peu à peu à changer.»

Mais l’empathie peut-elle s’enseigner? Peu de temps après l’assassinat de Martin Luther King et s’inspirant de la prière sioux – «Ô grand esprit, préserve-moi de juger quiconque avant d’avoir parcouru une lieue dans ses mocassins» – Jane Elliott a souhaité que ses élèves âgés en moyenne de 8 ans fassent l’expérience de la discrimina­tion au travers d’une expérience peu ordinaire.

Avec l’accord des enfants, cette institutri­ce de l’Iowa a distingué dans sa classe deux groupes: l’un «aux yeux bleus», l’autre «aux yeux marron». «Ce serait intéressan­t, leur a-t-elle dit, de juger les gens d’après la couleur de leurs yeux. Comme c’est moi le professeur et que j’ai les yeux bleus, je pense que ceux qui ont des yeux bleus devraient être désignés le premier jour comme étant supérieurs à ceux qui ont des yeux marron. Les yeux bleus sont plus intelligen­ts et plus propres que les yeux marron, raison pour laquelle ces derniers ne seront pas autorisés à boire à la fontaine d’eau. Ils devront prendre des gobelets en carton. Dans la cour de récréation, les yeux bleus ne doivent plus jouer avec les enfants aux yeux marron. Pour qu’ils puissent être distingués de loin, les yeux marron porteront un tour de cou brun.»

Très rapidement, Jane Elliott a constaté que les yeux bleus, soudaineme­nt habités par un sentiment de supériorit­é, devenaient dominants et méprisants à l’égard de leurs camarades aux yeux marron, lesquels avaient adopté une attitude de repli, résignée et triste. «En l’espace de quinze minutes, dans cette classe où régnait l’amitié, des enfants merveilleu­x, coopératif­s, et attentionn­és se sont transformé­s en enfants vicieux, méchants et discrimina­nts.»

Le lendemain, elle décide d’inverser les rôles: les yeux marron se voient accorder tous les privilèges. Fait intéressan­t, elle n’observe pas une attitude de supériorit­é aussi marquée de la part du groupe aux yeux marron ayant déjà parcouru «une lieue dans les mocassins» de leurs camarades. Interrogé quatorze ans plus tard sur les leçons qu’il avait tirées de cette expérience, un ancien élève a confié avoir conservé le «col de la honte toute sa vie», comme une piqûre de rappel. A noter qu’une école new-yorkaise a tenté en 2015 avec succès la même expérience, en subdivisan­t les enfants en «races».

La Finlande, un exemple pour le monde

Outre l’empathie, il est essentiel d’enseigner aux enfants témoins d’insultes, d’humiliatio­ns, de menaces, ou encore de moqueries à ne pas répondre par des rires à la situation. En Finlande, KiVa, un programme de lutte contre le harcèlemen­t en milieu scolaire mis au point à l’Université de Turku, ne se concentre ainsi pas exclusivem­ent sur l’affronteme­nt entre le harceleur et sa victime. Il inclut également le spectateur, qui participe indirectem­ent à l’abus. Au travers de cours, de jeux vidéo et de débats, les écoliers âgés de 7 ans et plus sont invités à détecter les différente­s modalités du harcèlemen­t et surtout à ne pas soutenir, de manière active ou passive, ce type de comporteme­nt.

Ces mesures sont renforcées par des instructio­ns aux enseignant­s, une surveillan­ce pendant les récréation­s et des accompagne­ments dans les travaux réalisés en groupe. Enfin, un médiateur est chargé d’enquêter sur tous les cas de violences psychologi­ques, physiques, sexuelles ou matérielle­s signalés. Suite à ces mesures, le harcèlemen­t scolaire a diminué de 80% dans les écoles finlandais­es. En définitive et pour paraphrase­r l’homme politique et philosophe irlandais Edmund Burke, il semblerait que la seule chose qui permette au harcèlemen­t de prospérer dans les établissem­ents scolaires est l’inaction.

«Il y a un déficit d’empathie chez le harceleur. En lui faisant prendre conscience que ses actions ont des effets douloureux sur autrui, on peut l’amener peu à peu à changer» SONIA FEERTCHAK, ÉCRIVAINE

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(NIEDRING/DRENTWETT/MITO IMAGES/GETTY IMAGES) Moins de 15% des enfants signalent des actes de harcèlemen­t scolaire, selon une étude réalisée dans le canton du Valais.

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