«L’avocat devient de plus en plus un consultant»
Yves Bonnard fait partie des associés fondateurs de Bonnard Lawson. Ce cabinet d’avocats de taille moyenne concurrence les grandes franchises internationales établies en Suisse et se tient à distance des récents regroupements de structures locales
Ce n’est pas l’étude la plus connue mais c’est le plus international des cabinets d’avocats suisses. Bonnard Lawson, qui fête ses 20 ans, emploie 120 employés dans le monde dont environ 60 avocats et juristes. Rencontre avec Yves Bonnard, un de ses associés fondateurs qui privilégie la croissance organique et défend une conception évolutive de son métier.
Comment le métier d’avocat a-t-il évolué en vingt ans? Il a considérablement évolué. Dans le canton de Vaud, l’effectif des avocats est passé en vingt ans de 250 à près de 1000, avec une croissance exponentielle ces dernières années. Les conséquences en sont que le brevet d’avocat est dévalorisé, que les jeunes avocats peinent à trouver du travail en étude et qu’ils doivent donc immanquablement se spécialiser. Hors de Suisse, l’évolution s’avère aussi considérable. Les grands cabinets anglo-saxons occupent tous les marchés clés et concentrent sur eux les opérations de droit commercial telles que fusions et acquisitions. Fort heureusement, il reste une place pour les cabinets de taille moyenne qui présentent à la fois une expertise internationale et un réseau local. C’est le constat que nous faisons en Suisse, mais également dans les mégapoles où nous sommes présents (à Shanghai, Hongkong, Dubaï, Paris et Luxembourg).
Vous travaillez étroitement avec la finance: comment l’évolution de ce secteur a transformé votre activité? En Suisse romande, la finance se confond avec l’industrie du «private banking». La révolution bancaire a eu un impact très important sur notre métier d’avocats-conseils d’institutions financières et de familles internationales qui sont leurs clientes. L’affaire UBS en 2008, a déclenché des vagues de demandes de régularisations de fonds non déclarés. Grâce à notre expertise transfrontalière, nous avons traité en interne d’innombrables cas relatifs aux Etats-Unis et à la France. Aujourd’hui, comme tous les cabinets actifs en clientèle privée, nous gérons l’augmentation considérable des exigences bancaires liées à la législation américaine FATCA ou à l’échange automatique d’informations, pour ne prendre que ces exemples.
Combien de métiers différents faitesvous au sein de votre étude, entre les spécialistes du fiscal, ceux du judiciaire, ceux du conseil, etc., et comment cela se répartit? Si on additionne les domaines d’activité de tous nos praticiens, nous faisons tous les métiers du droit. Certains d’entre nous s’adonnent exclusivement au conseil, soit à l’accompagnement de clients privés et d’entreprises afin d’éviter les litiges, d’autres dévouent leurs pratiques à la résolution de litiges par voies judiciaire, arbitrale ou par médiation. Cette façon de trier les domaines d’activité parle souvent peu à un client. Il préfère savoir que nous savons traiter son contrat de mariage, le règlement de son éventuelle incapacité de discernement, sa succession à planifier, l’intégration d’un actionnaire à sa société, un litige de construction immobilière, etc. La part du conseil a pris beaucoup d’ampleur par rapport au judiciaire. Il y a vingt ans, l’avocat était consulté pour régler un litige. Aujourd’hui, l’inflation normative crée un climat d’insécurité qui pousse les clients à consulter plus tôt.
Quel est le secteur qui c’est le plus développé en vingt ans? C’est clairement le conseil à la clientèle privée. Nous comptons une équipe d’environ vingt personnes dédiées à notre clientèle fortunée internationale. Nous avons fait le choix, dans ce domaine comme dans d’autres, de nous concentrer sur un type de clients plutôt que sur un domaine du droit. Ainsi, pour ces familles dont les membres et le patrimoine sont globaux, notre équipe se charge de toutes leurs questions juridiques: successorales, fiscales, acquisition d’immeubles, d’oeuvres d’art, prise de résidence, nationalités, caritatif, etc. Plus récemment, nous avons renforcé notre équipe en commercial et M&A, ainsi qu’en matière d’arbitrage et de contentieux. Nos cabinets étrangers grandissent également, ce qui est réjouissant. De manière générale, nous développons notre activité en matière de transactions et de litiges transfrontaliers. C’est l’un de nos domaines de prédilection.
Le monde des affaires privilégie-t-il les solutions transactionnelles? La réponse varie selon que les affaires ont une connotation internationale ou non. Les conflits commerciaux locaux laisseront toujours la part belle aux tribunaux alors que le monde des affaires – en particulier à l’international – privilégie l’arbitrage. Les raisons sont multiples. Par le truchement de traités internationaux, les sentences arbitrales sont plus aisément exécutées devant les tribunaux étrangers compétents pour ordonner des mesures d’exécution forcée sur les biens du débiteur. Par contre, il s’avère plus difficile d’obtenir l’exécution d’un jugement étatique à l’étranger, du moins hors de l’Union européenne. Les entreprises choisissent aussi cette voie afin de bénéficier de l’expertise d’arbitres rompus au droit des affaires et pour des questions de confidentialité. Néanmoins, l’arbitrage a un coût. Les entreprises tendent dès lors à privilégier des modes alternatifs de règlement de litiges, tels que la médiation commerciale.
Constatez-vous en Suisse une guerre des talents pour attirer les meilleurs? C’est vrai en Suisse comme à l’étranger. Mais ce n’est pas suffisant. L’avocat n’est plus un oracle dont les paroles sont attendues. De plus en plus, nous devenons des consultants. Les clients attendent un service juridique de qualité, que les «talents» peuvent fournir, néanmoins il faut plus que de bonnes notes universitaires pour réussir. Le métier exige des qualités translationnelles: on passe du droit à la comptabilité et il faut comprendre les métiers de nos clients. Il faut une dose de psychologie, de résistance au stress et une grande faculté de remise en question. Ce type de talents se révèlent par l’expérience professionnelle.
On voit des cabinets fusionner, de grandes enseignes se développer… Vous êtes un moyen parmi des grands? Certains dossiers correspondent à la taille d’une étude, d’autres relèvent de la finesse de ses spécialistes et de son positionnement. Notre cabinet n’est pas le plus grand de Suisse en nombre d’avocats, mais celui qui a le plus de bureaux à l’étranger entièrement intégrés et non sous forme de simple réseau de correspondants. Dans chaque bureau, et c’est naturellement valable en Suisse aussi, nous avons une solide assise locale. Nous cherchons à rester des avocats locaux dotés d’une forte expertise dans le conseil juridique transnational. Tout comme moi, plusieurs fondateurs de Bonnard Lawson étaient passés dans leurs jeunes années par des grands cabinets internationaux. Nous y avions apprécié le travail international. Mais la taille démesurée de ces cabinets avait de nombreux désavantages, tant pour les collaborateurs que nous étions, que pour les clients.
Que recherchent les personnes qui s’installent en Suisse, une de vos activités? L’étranger qui projette de s’installer en Suisse commencera par arbitrer les avantages et inconvénients de notre pays. L’actif cherchera la connectivité, la proximité des centres de recherche universitaires et un cadre de vie agréable. Parfois, le chef d’entreprise mesure mal que le pays ne dispose pas d’un contingent illimité de permis de travail et qu’il recrute prioritairement les Suisses et Européens. C’est un frein au développement de son activité surtout si elle est globale dans sa recherche de talents. Les clients non actifs continuent de choisir la Suisse, mais seulement la frange la plus fortunée. Le Portugal, Malte, voire même Dubaï occupent désormais une place de choix pour les autres. Conseiller un client qui s’intéresse à la Suisse, c’est ne pas lui «survendre» ce pays mais bien gérer ses attentes et savoir traduire les aspects culturels pour aplanir les différences.
L’environnement de l’innovation et des start-up a beaucoup évolué dans la région: conseillez-vous ce secteur? Oui, nous avons la chance d’avoir recruté de jeunes associés qui sont très proches de ces milieux et qui conseillent plusieurs start-up prometteuses de la région. A titre personnel, je m’occupe davantage de lever des fonds pour ces entreprises auprès de familles fortunées qui souhaitent investir davantage dans «l’économie réelle» et se rapprocher de véritables entrepreneurs. La bourse offre des placements probablement plus sûrs, mais le capital-risque rapproche des entrepreneurs et ce facteur humain a une valeur inestimable.
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«Conseiller un client qui s’intéresse à la Suisse, c’est ne pas lui «survendre» ce pays mais bien gérer ses attentes et savoir traduire les aspects culturels pour aplanir les différences»