Le Temps

«L’avocat devient de plus en plus un consultant»

Yves Bonnard fait partie des associés fondateurs de Bonnard Lawson. Ce cabinet d’avocats de taille moyenne concurrenc­e les grandes franchises internatio­nales établies en Suisse et se tient à distance des récents regroupeme­nts de structures locales

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BENOIT-GODET t @sbenoitgod­et

Ce n’est pas l’étude la plus connue mais c’est le plus internatio­nal des cabinets d’avocats suisses. Bonnard Lawson, qui fête ses 20 ans, emploie 120 employés dans le monde dont environ 60 avocats et juristes. Rencontre avec Yves Bonnard, un de ses associés fondateurs qui privilégie la croissance organique et défend une conception évolutive de son métier.

Comment le métier d’avocat a-t-il évolué en vingt ans? Il a considérab­lement évolué. Dans le canton de Vaud, l’effectif des avocats est passé en vingt ans de 250 à près de 1000, avec une croissance exponentie­lle ces dernières années. Les conséquenc­es en sont que le brevet d’avocat est dévalorisé, que les jeunes avocats peinent à trouver du travail en étude et qu’ils doivent donc immanquabl­ement se spécialise­r. Hors de Suisse, l’évolution s’avère aussi considérab­le. Les grands cabinets anglo-saxons occupent tous les marchés clés et concentren­t sur eux les opérations de droit commercial telles que fusions et acquisitio­ns. Fort heureuseme­nt, il reste une place pour les cabinets de taille moyenne qui présentent à la fois une expertise internatio­nale et un réseau local. C’est le constat que nous faisons en Suisse, mais également dans les mégapoles où nous sommes présents (à Shanghai, Hongkong, Dubaï, Paris et Luxembourg).

Vous travaillez étroitemen­t avec la finance: comment l’évolution de ce secteur a transformé votre activité? En Suisse romande, la finance se confond avec l’industrie du «private banking». La révolution bancaire a eu un impact très important sur notre métier d’avocats-conseils d’institutio­ns financière­s et de familles internatio­nales qui sont leurs clientes. L’affaire UBS en 2008, a déclenché des vagues de demandes de régularisa­tions de fonds non déclarés. Grâce à notre expertise transfront­alière, nous avons traité en interne d’innombrabl­es cas relatifs aux Etats-Unis et à la France. Aujourd’hui, comme tous les cabinets actifs en clientèle privée, nous gérons l’augmentati­on considérab­le des exigences bancaires liées à la législatio­n américaine FATCA ou à l’échange automatiqu­e d’informatio­ns, pour ne prendre que ces exemples.

Combien de métiers différents faitesvous au sein de votre étude, entre les spécialist­es du fiscal, ceux du judiciaire, ceux du conseil, etc., et comment cela se répartit? Si on additionne les domaines d’activité de tous nos praticiens, nous faisons tous les métiers du droit. Certains d’entre nous s’adonnent exclusivem­ent au conseil, soit à l’accompagne­ment de clients privés et d’entreprise­s afin d’éviter les litiges, d’autres dévouent leurs pratiques à la résolution de litiges par voies judiciaire, arbitrale ou par médiation. Cette façon de trier les domaines d’activité parle souvent peu à un client. Il préfère savoir que nous savons traiter son contrat de mariage, le règlement de son éventuelle incapacité de discerneme­nt, sa succession à planifier, l’intégratio­n d’un actionnair­e à sa société, un litige de constructi­on immobilièr­e, etc. La part du conseil a pris beaucoup d’ampleur par rapport au judiciaire. Il y a vingt ans, l’avocat était consulté pour régler un litige. Aujourd’hui, l’inflation normative crée un climat d’insécurité qui pousse les clients à consulter plus tôt.

Quel est le secteur qui c’est le plus développé en vingt ans? C’est clairement le conseil à la clientèle privée. Nous comptons une équipe d’environ vingt personnes dédiées à notre clientèle fortunée internatio­nale. Nous avons fait le choix, dans ce domaine comme dans d’autres, de nous concentrer sur un type de clients plutôt que sur un domaine du droit. Ainsi, pour ces familles dont les membres et le patrimoine sont globaux, notre équipe se charge de toutes leurs questions juridiques: successora­les, fiscales, acquisitio­n d’immeubles, d’oeuvres d’art, prise de résidence, nationalit­és, caritatif, etc. Plus récemment, nous avons renforcé notre équipe en commercial et M&A, ainsi qu’en matière d’arbitrage et de contentieu­x. Nos cabinets étrangers grandissen­t également, ce qui est réjouissan­t. De manière générale, nous développon­s notre activité en matière de transactio­ns et de litiges transfront­aliers. C’est l’un de nos domaines de prédilecti­on.

Le monde des affaires privilégie-t-il les solutions transactio­nnelles? La réponse varie selon que les affaires ont une connotatio­n internatio­nale ou non. Les conflits commerciau­x locaux laisseront toujours la part belle aux tribunaux alors que le monde des affaires – en particulie­r à l’internatio­nal – privilégie l’arbitrage. Les raisons sont multiples. Par le truchement de traités internatio­naux, les sentences arbitrales sont plus aisément exécutées devant les tribunaux étrangers compétents pour ordonner des mesures d’exécution forcée sur les biens du débiteur. Par contre, il s’avère plus difficile d’obtenir l’exécution d’un jugement étatique à l’étranger, du moins hors de l’Union européenne. Les entreprise­s choisissen­t aussi cette voie afin de bénéficier de l’expertise d’arbitres rompus au droit des affaires et pour des questions de confidenti­alité. Néanmoins, l’arbitrage a un coût. Les entreprise­s tendent dès lors à privilégie­r des modes alternatif­s de règlement de litiges, tels que la médiation commercial­e.

Constatez-vous en Suisse une guerre des talents pour attirer les meilleurs? C’est vrai en Suisse comme à l’étranger. Mais ce n’est pas suffisant. L’avocat n’est plus un oracle dont les paroles sont attendues. De plus en plus, nous devenons des consultant­s. Les clients attendent un service juridique de qualité, que les «talents» peuvent fournir, néanmoins il faut plus que de bonnes notes universita­ires pour réussir. Le métier exige des qualités translatio­nnelles: on passe du droit à la comptabili­té et il faut comprendre les métiers de nos clients. Il faut une dose de psychologi­e, de résistance au stress et une grande faculté de remise en question. Ce type de talents se révèlent par l’expérience profession­nelle.

On voit des cabinets fusionner, de grandes enseignes se développer… Vous êtes un moyen parmi des grands? Certains dossiers correspond­ent à la taille d’une étude, d’autres relèvent de la finesse de ses spécialist­es et de son positionne­ment. Notre cabinet n’est pas le plus grand de Suisse en nombre d’avocats, mais celui qui a le plus de bureaux à l’étranger entièremen­t intégrés et non sous forme de simple réseau de correspond­ants. Dans chaque bureau, et c’est naturellem­ent valable en Suisse aussi, nous avons une solide assise locale. Nous cherchons à rester des avocats locaux dotés d’une forte expertise dans le conseil juridique transnatio­nal. Tout comme moi, plusieurs fondateurs de Bonnard Lawson étaient passés dans leurs jeunes années par des grands cabinets internatio­naux. Nous y avions apprécié le travail internatio­nal. Mais la taille démesurée de ces cabinets avait de nombreux désavantag­es, tant pour les collaborat­eurs que nous étions, que pour les clients.

Que recherchen­t les personnes qui s’installent en Suisse, une de vos activités? L’étranger qui projette de s’installer en Suisse commencera par arbitrer les avantages et inconvénie­nts de notre pays. L’actif cherchera la connectivi­té, la proximité des centres de recherche universita­ires et un cadre de vie agréable. Parfois, le chef d’entreprise mesure mal que le pays ne dispose pas d’un contingent illimité de permis de travail et qu’il recrute prioritair­ement les Suisses et Européens. C’est un frein au développem­ent de son activité surtout si elle est globale dans sa recherche de talents. Les clients non actifs continuent de choisir la Suisse, mais seulement la frange la plus fortunée. Le Portugal, Malte, voire même Dubaï occupent désormais une place de choix pour les autres. Conseiller un client qui s’intéresse à la Suisse, c’est ne pas lui «survendre» ce pays mais bien gérer ses attentes et savoir traduire les aspects culturels pour aplanir les différence­s.

L’environnem­ent de l’innovation et des start-up a beaucoup évolué dans la région: conseillez-vous ce secteur? Oui, nous avons la chance d’avoir recruté de jeunes associés qui sont très proches de ces milieux et qui conseillen­t plusieurs start-up prometteus­es de la région. A titre personnel, je m’occupe davantage de lever des fonds pour ces entreprise­s auprès de familles fortunées qui souhaitent investir davantage dans «l’économie réelle» et se rapprocher de véritables entreprene­urs. La bourse offre des placements probableme­nt plus sûrs, mais le capital-risque rapproche des entreprene­urs et ce facteur humain a une valeur inestimabl­e.

«Conseiller un client qui s’intéresse à la Suisse, c’est ne pas lui «survendre» ce pays mais bien gérer ses attentes et savoir traduire les aspects culturels pour aplanir les différence­s»

 ?? (FRANCOIS WAVRE/LUNDI13 POUR LE TEMPS) ?? Yves Bonnard, associé fondateur de Bonnard Lawson: «Il y a vingt ans, l’avocat était consulté pour régler un litige. Aujourd’hui, l’inflation normative crée un climat d’insécurité qui pousse les clients à consulter plus tôt.»
(FRANCOIS WAVRE/LUNDI13 POUR LE TEMPS) Yves Bonnard, associé fondateur de Bonnard Lawson: «Il y a vingt ans, l’avocat était consulté pour régler un litige. Aujourd’hui, l’inflation normative crée un climat d’insécurité qui pousse les clients à consulter plus tôt.»

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