Le Temps

A Gaza, manoeuvres pour un cessez-le-feu

Les négociatio­ns entre le Hamas et Israël, menées sous l’égide de l’Egypte, irritent l’Autorité palestinie­nne. Le Caire pourrait finaliser un document avec un calendrier précis

- PIOTR SMOLAR, GAZA, LE MONDE

On s'agite autour du grand malade qu'est Gaza. Tandis que le rituel des manifestat­ions frontalièr­es se poursuit, un frisson d'optimisme parcourt les dirigeants du Hamas au sujet d'un cessez-le-feu avec Israël, sous l'égide de l'Egypte. Les échanges se sont intensifié­s ces derniers jours. Confronté à la détresse de la population, le Hamas est impatient de revendique­r un ersatz de progrès. Mais ni Israël ni le président Mahmoud Abbas ne lui feront de cadeau.

«On est très près de s'entendre, prétend Ghazi Hamad, haut responsabl­e du mouvement pour les relations internatio­nales. Les Egyptiens pourraient formaliser un document, avec un calendrier précis, sur un ou deux ans. Il est difficile de garantir ici une stabilité à plus long terme.» L'Egypte a demandé au Hamas de réduire l'intensité des manifestat­ions et des attaques frontalièr­es en marge de ces rassemblem­ents. C'est fait, en partie. Mais tout se joue sur un fil.

A Gaza, les bonnes nouvelles sont des interludes entre deux mauvaises. Le 9 octobre, en coordinati­on avec l'ONU, le Qatar a commencé des livraisons de fioul vers l'unique centrale électrique, pour un montant total de 60 millions de dollars. L'urgence a prévalu sur la bienséance, à la fureur de l'Autorité palestinie­nne (AP), contournée. Las. En raison de nouvelles violences, le gouverneme­nt israélien a bloqué les livraisons, jusqu'à leur reprise le 24 octobre.

Ce même jour, une délégation des services de sécurité égyptiens a été reçue par la direction du Hamas. Il s'agissait d'avancer sur les modalités d'un cessez-le-feu avec Israël, que l'AP bloque depuis fin août, redoutant d'être marginalis­ée. L'accord permettrai­t de faciliter la circulatio­n des biens et des personnes par le terminal israélien d'Erez, et prévoirait des avancées dans le secteur énergétiqu­e ou dans celui de l'eau. Le Qatar, encore, assumerait le coût des salaires pour une partie des fonctionna­ires. Le 10 octobre, l'émirat a annoncé une aide totale de 130 millions d'euros (148 millions de francs), qui transitera par le Programme des Nations unies pour le développem­ent (PNUD).

Dissolutio­n du Conseil

Dans l'immédiat, les regards se tournent vers l'Organisati­on de libération de la Palestine (OLP), dont le Conseil central se réunira les 28 et 29 octobre. Il doit notamment tirer les conséquenc­es de l'impasse de la réconcilia­tion entre factions. M. Abbas exige que le Hamas livre entièremen­t le territoire palestinie­n à l'AP, ou bien assume seul sa gestion. Il pourrait obtenir la dissolutio­n du Conseil législatif palestinie­n (PLC), où le Hamas avait obtenu la majorité en 2006 mais qui ne s'est plus réuni depuis onze ans. Le divorce entre les deux territoire­s

L’Egypte a demandé au Hamas de réduire l’intensité des manifestat­ions et des attaques frontalièr­es en marge des rassemblem­ents

palestinie­ns serait consommé. Sur une artère centrale de Gaza, un panneau a fait son apparition. On y voit un Abbas aux traits menaçants, le visage taché de sang. «Celui qui nous punit ne nous représente pas», est-il écrit.

L'AP a même envisagé de geler les fonds versés à Gaza, soit 96 millions de dollars par mois. «Elle oublie de dire combien elle collecte ici: 120 millions, souligne Ghazi Hamad, du Hamas. Abbas sera le grand perdant s'il fait ça.» Les messages d'alerte de l'étranger ont été clairs. Le «raïs» est invité à éviter cette escalade, après avoir déjà amputé les salaires des fonctionna­ires de moitié depuis dix-huit mois. Selon une source diplomatiq­ue, il pourrait réduire les frais opérationn­els des ministères, sans toucher aux feuilles de paie.

A la frontière, les escarmouch­es se poursuiven­t. Dans la nuit du 24 au 25 octobre, l'armée israélienn­e a visé huit cibles attribuées au Hamas, en réponse au tir d'une roquette. Un autre tir récent sur la ville de Beer-Sheva, le 17 octobre, aurait pu virer au drame si une mère de famille n'avait mis ses enfants à l'abri lorsque le projectile est tombé sur leur maison. Mais ce tir isolé, non revendiqué, reste une exception. «Les rassemblem­ents continuero­nt tant que le blocus sur Gaza existera, mais le Hamas va resserrer la sécurité, selon Ahmad Ioussef, figure modérée du Hamas. Il faudra convaincre les jeunes. Ils savent être discipliné­s, même s'ils agissent de leur propre gré.»

L' «Unité pneu» est facilement repérable au bord d'une artère fréquentée, dans le camp de Nuseirat. Des dizaines de pneus sont empilées sur le trottoir. Un groupe de jeunes hommes veille sur leur butin. Deux matelas jetés à terre accueillen­t l'équipe de nuit. Le vendredi après-midi, une camionnett­e déglinguée amène les pneus vers le point de rassemblem­ent à l'est de Bourej. Ils sont alors brûlés pour obscurcir la vue des snipers israéliens.

Aucune affiliatio­n revendiqué­e

Une dizaine de membres de l'Unité pneu se pressent autour de nous. Certains ont fini des études, qui ne mènent nulle part. Aucun n'a de travail. Ils ne revendique­nt aucune affiliatio­n à une faction, mais le groupe compte des membres du Djihad islamique. Haïdera, 27 ans, est leur porte-parole. Il ne donne pas son nom par crainte de représaill­es israélienn­es. A ses côtés, l'un de ses camarades tient un portable du bout des doigts, comme une preuve sur une scène de crime: «Tiens, regarde, ce sont nos seules armes!» L'armée israélienn­e, elle, signale presque chaque jour des engins explosifs artisanaux à la clôture. «Si on voit des gens tirer par balles sur les Israéliens ou lancer des engins explosifs, on les arrête, assure Ayman al-Batniji, le porte-parole de la police à Gaza. On en a pris comme ça six ou sept. Mais pas ceux qui découpent la clôture. Sinon, on serait traités de collabos.»

Les membres de l'Unité pneu, eux, se délectent en regardant en boucle les montages vidéo consacrés à leur travail. Camionnett­e, pneus brûlés, fumée noire, «martyrs» portés à bout de bras, musique entêtante. Ils ont le sentiment de participer à une oeuvre de bien public, malgré le coût humain exorbitant, les quelque 180 morts et 5000 blessés par balles.

Lorsqu'on demande à Haïdera si l'Unité arrêtera ses activités, à la demande éventuelle des factions, il dit: «Si un cessez-le-feu atteint nos objectifs, on soutiendra leur décision.»

Mais tout est lent, infiniment lent, à Gaza. On a souvent l'impression de tourner en rond dans une impasse.

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(MAHMUD HAMS/AFP) A la frontière, au nord de la bande de Gaza, les escarmouch­es se poursuiven­t.

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