Les commerçants ne s’amusent pas au festival syndical genevois
Après les maçons, un nouveau conflit social menace Genève. Les commerces de détail s’unissent contre le syndicat Unia pour défendre l’ouverture des magasins trois dimanches par an. Le Conseil d’Etat s’en mêle
Un nouveau conflit social menace d'enfiévrer Genève. Après la grève des maçons qui n'a pas mis fin au bras de fer avec le patronat, voici le commerce de détail en ébullition. En cause: un projet de loi voté par le Grand Conseil, qui propose à titre expérimental l'ouverture des magasins trois dimanches par an, et contre lequel le syndicat Unia, fidèle à sa méthode offensive, a lancé un référendum. Traditionnellement, l'automne genevois est un festival syndical.
En rogne, les patrons du commerce de détail ont décidé de jouer les troublefêtes. Pour l'occasion, trois associations de petits commerçants et de grandes enseignes se sont réunies pour dénoncer les «mensonges» du syndicat: «Contrairement à ce qu'affirme Unia, des compensations sont prévues pour le travail du dimanche, par ailleurs volontaire, explique Pascal Vandenberghe, président de l'association Trade Club. Soit une majoration de 100% pour les heures travaillées ainsi qu'un jour de récupération.»
«Unia fait preuve d’une opposition de principe»
Un marché de dupes, vraiment? Celui qui est aussi président et directeur des librairies Payot a posé la question à son personnel, en organisant une consultation interne facultative. Avec un taux de participation de 97%, 62% se sont déclarés favorables au principe des trois dimanches, et 75% se sont montrés disposés à travailler un ou plusieurs dimanches le cas échéant. Face aux accusations de mensonge, Audrey Schmid, d'Unia, botte en touche: «Ce n'est pas sur la stricte compensation des dimanches qu'on bute. On demande d'autres mesures pour limiter la flexibilité des horaires, qui sera amplifiée avec les dimanches.»
Pour le syndicat, il s'agit là de subtiles distinctions dont il ne saurait s'embarrasser pour faire campagne. Pour Sophie Dubuis, présidente de la Fédération du commerce genevois (FCG), en revanche, il s'agit d'une grossière confusion: «Unia va chercher des signatures chez les socialistes et les Verts sur la base d'arguments fallacieux et de son fonds de commerce habituel, la prétendue arrogance patronale. Je crois qu'Unia fait preuve d'une opposition de principe, car il n'a pas négocié la nouvelle convention collective de travail (CCT).»
On touche peut-être ici au coeur du différend. En 2016, les Genevois votaient pour l'ouverture des commerces trois dimanches, pour autant que les employés soient couverts par une CCT. Or, peu avant la votation, Unia dénonçait la CCT en vigueur. C'en était trop pour les associations patronales, qui ont cherché un partenaire social mieux disposé: la Société des employés de commerce (SEC), active chez Coop, Migros, Lidl et Valora. De cette alliance est née une nouvelle CCT, signée en septembre 2017. Invité à parapher, Unia a décliné: «Nous n'avons pas pour habitude de signer une convention qui nous est présentée, rapporte Audrey Schmid. Et qui ne nous satisfait pas sur plusieurs points.» Dans un même emportement, Unia a puni le nouvel interlocuteur des commerçants en l'excluant de la faîtière des syndicats genevois: «Puisque la SEC a négocié dans notre dos, nous ne pouvons pas compter sur sa fiabilité», estime la syndicaliste.
Ces propos ne démontent pas la SEC, concentrée sur l'objectif d'une CCT étendue. Mais il semblerait qu'elle compte atteindre cet objectif en zigzags: «Faute de CCT, on ne peut pas soutenir le projet de loi, puisque c'est un prérequis qui ressort de la votation de 2016, explique Nicole de Cerjat. Mais on fait confiance aux employeurs qui nous disent qu'ils vont appliquer la convention.» Sur le référendum, elle préfère ne pas se prononcer.
Ambiance à la française
Autant de tergiversations et chicanes syndicales qui vont pouvoir s'exprimer librement dans le bureau du conseiller d'Etat Mauro Poggia d'ici à quelques jours. En tant que président du Conseil de surveillance du marché de l'emploi, celui-ci a prévu une séance de médiation entre les parties, outsiders compris. Elle s'annonce tourmentée, pour ne pas dire sanglante. Avec d'un côté des commerçants agrippés à leur CCT, de l'autre Unia qui se refuse à la signer, et par-dessus le marché un quorum des employeurs qui pourrait faire défaut pour une convention étendue.
Madré, le ministre sait qu'il doit jouer fin tant que la reprise du dialogue social est encore une vague perspective. Sur l'éventualité de noces sans Unia, il répond ceci: «Il me paraît problématique de vouloir écarter des partenaires sociaux locaux représentatifs du secteur, mais le système légal ne l'exclut pas d'emblée.» Mais échaudé par la grève des maçons, il constate aussi que «les actions syndicales à Genève s'apparentent effectivement davantage à ce à quoi on assiste en France plutôt qu'à ce qu'on voit ailleurs en Suisse. La démarche est plus politisée, et les démonstrations de force à titre préventif de plus en plus fréquentes.» Avec une première conséquence prévisible: «Les Genevois vont devoir revoter sur les dimanches, pourtant acceptés il y a trois ans. C'est navrant», conclut Sophie Dubuis.
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Chez Payot, 62% des employés se sont déclarés favorables au principe des trois dimanches, et 75% se sont montrés disposés à travailler le cas échéant