Le Temps

Le double jeu de Magdalena Blocher

Le «comité de chefs d’entreprise pour l’autodéterm­ination», pilotée par la CEO d’Ems-Chemie, présente une liste de quelque 70 patrons soutenant l’initiative UDC. Mais globalemen­t, les milieux économique­s la rejettent à une écrasante majorité

- MICHEL GUILLAUME, BERNE t @mfguillaum­e

A un mois de la votation sur l'initiative de l'UDC «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», les partisans du oui tentent de combler le retard qu'ils ont dans les sondages. Ce vendredi à Berne, ils ont voulu répondre aux milieux économique­s qui, dans leur grande majorité, rejettent l'initiative. Ils craignent en effet qu'elle n'ait à terme de «graves conséquenc­es» pour la place économique suisse. A la tête d'un «comité de chefs d'entreprise pour l'autodéterm­ination», la CEO d'Ems-Chemie et conseillèr­e nationale (UDC/GR) Magdalena Martullo-Blocher a remercié les quelque 70 patrons qui soutiennen­t ouvertemen­t l'initiative.

La liste n'est pas aussi longue qu'elle l'aurait voulu. On y note surtout les noms de nombreux politicien­s de l'UDC comme Adrian Amstutz, Thomas Matter, Gregor Rutz, Jean-François Rime ou encore Ulrich Giezendann­er. Trois des filles du patriarche de Herrliberg Christoph Blocher y figurent également, de même que l'ancien banquier Konrad Hummler. Mais, en dehors de ce cercle élargi de la sphère UDC, on n'y trouve aucune personnali­té dont le nom surprenne.

«Authentiqu­es chefs d’entreprise»

Ces patrons ne forment peut-être qu'une petite minorité en faveur de l'initiative, ils se sont pourtant présentés en «authentiqu­es chefs d'entreprise suisses». Eux sont fidèles à leurs racines helvétique­s; ils ne délocalise­nt pas les emplois et paient leurs impôts en Suisse. Ils s'engagent pour la démocratie directe, qu'ils considèren­t comme un facteur essentiel de la prospérité du pays. «Le peuple protège en dernière instance l'économie suisse contre le flux constant de réglementa­tions imposées de l'étranger», affirment-ils.

Il fallait s'y attendre. La conférence de presse de ce comité a tourné au règlement de comptes avec Economiesu­isse. Magdalena Martullo-Blocher ne pardonne pas à la faîtière d'avoir critiqué l'initiative dès son dépôt le 12 août 2016. Il est vrai qu'Economiesu­isse, échaudée par sa défaite le 9 février 2014 sur l'initiative «Contre l'immigratio­n de masse», est partie inhabituel­lement tôt en campagne. En avril 2017, elle a présenté un avis de droit de la professeur­e Christine Kaufmann, estimant que quelque 600 accords économique­s pourraient être menacés. Puis son comité directeur, à l'unanimité, a rejeté l'initiative en octobre 2017.

Un courriel controvers­é

Ainsi, les jeux étaient faits avant que la patronne milliardai­re ne puisse intervenir dans ce processus de décision. Magdalena Martullo-Blocher, qui tente de gagner en influence au sein de cette associatio­n faîtière, siège désormais au sein de son comité élargi, qui compte une soixantain­e de membres. Elle s'y est battue en vain pour défendre l'initiative. Mais elle ne s'est pas avouée vaincue pour autant. En coulisse, elle a adressé un courriel – que Le Temps a pu se procurer – à tous ses membres le 24 septembre dernier.

Economiesu­isse a présenté un avis de droit estimant que quelque 600 accords économique­s pourraient être menacés

Magdalena Martullo-Blocher y assure qu'aucun des 600 accords ne devra être adapté, voire résilié, car ceux-ci respectent actuelleme­nt tous la Constituti­on suisse. Dès lors, elle enjoint aux délégués d'Economiesu­isse de soutenir financière­ment l'initiative, une aide qui serait bien sûr traitée confidenti­ellement. «J'attends votre décision jusqu'au 28 septembre et vous remercie d'ores et déjà de votre confiance en la démocratie directe», conclut-elle.

Un appel qui n'a pas rencontré d'écho favorable, à en juger par l'ire qu'il a souvent suscitée chez les membres du comité élargi d'Economiesu­isse. Pour les uns, il s'agit d'une «maladresse regrettabl­e», pour d'autres d'un «double jeu détestable».

Deuxième défaite à l’USAM

L'UDC aurait cependant pu se remettre de cette bataille perdue dans les sphères dirigeante­s d'Economiesu­isse – qu'elle dénigre en prétendant qu'elle est pilotée par des «managers étrangers» – si elle avait pu prendre sa revanche au sein de la «vraie» faîtière des PME: l'Union suisse des arts et métiers (USAM), qui représente plus de 230 associatio­ns et quelque 500 000 PME, soit 99,8% des entreprise­s du pays. Mais c'est tout le contraire qui s'est produit le 24 octobre dernier à Charmey (FR). Par 29 voix contre 4, soit à une majorité écrasante, la Chambre de l'USAM a elle aussi balayé le texte de l'UDC. «L'initiative affaiblit la position de la Suisse dans ses relations avec d'autres Etats et peut avoir des effets négatifs sur l'économie extérieure de notre pays», a-t-elle tranché.

Une défaite cuisante pour Jean-François Rime, président de l'USAM et membre du comité d'initiative. Déchiré entre ces deux casquettes, le Fribourgeo­is a déclaré qu'il ferait profil bas durant la campagne. Il n'a jusqu'ici accepté que deux engagement­s, l'un au collège de Sainte-Croix et l'autre devant la Chambre fribourgeo­ise de commerce, débat auquel participer­a d'ailleurs aussi le président de la Confédérat­ion, Alain Berset.

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