Le double jeu de Magdalena Blocher
Le «comité de chefs d’entreprise pour l’autodétermination», pilotée par la CEO d’Ems-Chemie, présente une liste de quelque 70 patrons soutenant l’initiative UDC. Mais globalement, les milieux économiques la rejettent à une écrasante majorité
A un mois de la votation sur l'initiative de l'UDC «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», les partisans du oui tentent de combler le retard qu'ils ont dans les sondages. Ce vendredi à Berne, ils ont voulu répondre aux milieux économiques qui, dans leur grande majorité, rejettent l'initiative. Ils craignent en effet qu'elle n'ait à terme de «graves conséquences» pour la place économique suisse. A la tête d'un «comité de chefs d'entreprise pour l'autodétermination», la CEO d'Ems-Chemie et conseillère nationale (UDC/GR) Magdalena Martullo-Blocher a remercié les quelque 70 patrons qui soutiennent ouvertement l'initiative.
La liste n'est pas aussi longue qu'elle l'aurait voulu. On y note surtout les noms de nombreux politiciens de l'UDC comme Adrian Amstutz, Thomas Matter, Gregor Rutz, Jean-François Rime ou encore Ulrich Giezendanner. Trois des filles du patriarche de Herrliberg Christoph Blocher y figurent également, de même que l'ancien banquier Konrad Hummler. Mais, en dehors de ce cercle élargi de la sphère UDC, on n'y trouve aucune personnalité dont le nom surprenne.
«Authentiques chefs d’entreprise»
Ces patrons ne forment peut-être qu'une petite minorité en faveur de l'initiative, ils se sont pourtant présentés en «authentiques chefs d'entreprise suisses». Eux sont fidèles à leurs racines helvétiques; ils ne délocalisent pas les emplois et paient leurs impôts en Suisse. Ils s'engagent pour la démocratie directe, qu'ils considèrent comme un facteur essentiel de la prospérité du pays. «Le peuple protège en dernière instance l'économie suisse contre le flux constant de réglementations imposées de l'étranger», affirment-ils.
Il fallait s'y attendre. La conférence de presse de ce comité a tourné au règlement de comptes avec Economiesuisse. Magdalena Martullo-Blocher ne pardonne pas à la faîtière d'avoir critiqué l'initiative dès son dépôt le 12 août 2016. Il est vrai qu'Economiesuisse, échaudée par sa défaite le 9 février 2014 sur l'initiative «Contre l'immigration de masse», est partie inhabituellement tôt en campagne. En avril 2017, elle a présenté un avis de droit de la professeure Christine Kaufmann, estimant que quelque 600 accords économiques pourraient être menacés. Puis son comité directeur, à l'unanimité, a rejeté l'initiative en octobre 2017.
Un courriel controversé
Ainsi, les jeux étaient faits avant que la patronne milliardaire ne puisse intervenir dans ce processus de décision. Magdalena Martullo-Blocher, qui tente de gagner en influence au sein de cette association faîtière, siège désormais au sein de son comité élargi, qui compte une soixantaine de membres. Elle s'y est battue en vain pour défendre l'initiative. Mais elle ne s'est pas avouée vaincue pour autant. En coulisse, elle a adressé un courriel – que Le Temps a pu se procurer – à tous ses membres le 24 septembre dernier.
Economiesuisse a présenté un avis de droit estimant que quelque 600 accords économiques pourraient être menacés
Magdalena Martullo-Blocher y assure qu'aucun des 600 accords ne devra être adapté, voire résilié, car ceux-ci respectent actuellement tous la Constitution suisse. Dès lors, elle enjoint aux délégués d'Economiesuisse de soutenir financièrement l'initiative, une aide qui serait bien sûr traitée confidentiellement. «J'attends votre décision jusqu'au 28 septembre et vous remercie d'ores et déjà de votre confiance en la démocratie directe», conclut-elle.
Un appel qui n'a pas rencontré d'écho favorable, à en juger par l'ire qu'il a souvent suscitée chez les membres du comité élargi d'Economiesuisse. Pour les uns, il s'agit d'une «maladresse regrettable», pour d'autres d'un «double jeu détestable».
Deuxième défaite à l’USAM
L'UDC aurait cependant pu se remettre de cette bataille perdue dans les sphères dirigeantes d'Economiesuisse – qu'elle dénigre en prétendant qu'elle est pilotée par des «managers étrangers» – si elle avait pu prendre sa revanche au sein de la «vraie» faîtière des PME: l'Union suisse des arts et métiers (USAM), qui représente plus de 230 associations et quelque 500 000 PME, soit 99,8% des entreprises du pays. Mais c'est tout le contraire qui s'est produit le 24 octobre dernier à Charmey (FR). Par 29 voix contre 4, soit à une majorité écrasante, la Chambre de l'USAM a elle aussi balayé le texte de l'UDC. «L'initiative affaiblit la position de la Suisse dans ses relations avec d'autres Etats et peut avoir des effets négatifs sur l'économie extérieure de notre pays», a-t-elle tranché.
Une défaite cuisante pour Jean-François Rime, président de l'USAM et membre du comité d'initiative. Déchiré entre ces deux casquettes, le Fribourgeois a déclaré qu'il ferait profil bas durant la campagne. Il n'a jusqu'ici accepté que deux engagements, l'un au collège de Sainte-Croix et l'autre devant la Chambre fribourgeoise de commerce, débat auquel participera d'ailleurs aussi le président de la Confédération, Alain Berset.
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