Le Temps

Les petits jobs, moteur de l’économie canadienne

- LUDOVIC HIRTZMANN, MONTRÉAL

Plutôt que de privilégie­r le développem­ent des «emplois d’avenir», qui seraient des métiers hautement qualifiés, les Canadiens, et notamment les Québécois, misent depuis longtemps sur les petits jobs. Avec succès

Pfizer, Pharmabio, Pharmalab. Telles sont les sociétés que les Québécois ont mises en avant dans une immense foire à l’emploi qui s’est tenue en fin de semaine dernière à Montréal. Les entreprise­s techno y occupaient les stands les mieux placés. Voilà pour épater la galerie. Car si le Canada veut projeter une image de pôle technologi­que ou pharmaceut­ique aux yeux de l’étranger, la réalité est plus contrastée.

«Comparativ­ement à de nombreux autres pays de l’OCDE, la proportion de diplômés universita­ires canadiens est peu élevée dans les domaines en forte demande comme les sciences, les mathématiq­ues et l’ingénierie et […] le domaine des affaires», note un rapport du Budget canadien, avant d’ajouter que «le nombre de gestionnai­res hautement scolarisés est relativeme­nt faible, ce qui peut donner lieu à des degrés d’innovation moins élevés».

Taux de chômage à 5,9%

Seuls 24% des Québécois ont un diplôme universita­ire. Selon une enquête de l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ) sur la rémunérati­on dans les entreprise­s privées du Québec de 200 à 400 employés, à peine 8% des salariés ont un diplôme d’études supérieure­s et 42% ont reçu une formation secondaire. Cela n’empêche pas le Canada de bien réussir dans le domaine de la création d’emploi. Avec un taux de chômage national de 5,9% en septembre et de 5,3% au Québec, le pays fait figure d’eldorado aux yeux de ses partenaire­s du G7. Rien de brillant cependant pour ce qui est des emplois hyper-qualifiés.

Au Provigo, un supermarch­é du populaire quartier montréalai­s de Rosemont-La Petite-Patrie, un jeune Québécois s’affaire près des caisses du magasin, tandis qu’une jeune femme fait de même. Leur métier: commis emballeur des courses des clients. Le Canada compte nombre de ces jobs peu ou non existants en Europe: hôtesses placeuses de restaurant, cireurs de chaussures, livreurs de courses en cyclo-pousse ou de colis à vélo.

«Petits jobs»? Personne ne porte de jugement de valeur sur le prestige du travail de l’autre dans le pays à la feuille d’érable

Le Canada vibre pour les «jobines» (petits emplois en québécois). «Petits jobs»? Personne ne porte de jugement de valeur sur le prestige du travail de l’autre dans le pays à la feuille d’érable. «Il y a beaucoup de jobines payées au salaire minimum (qui est de 12 dollars canadiens au Québec, soit 9,14 francs). Et cela malgré une forte pénurie de main-d’oeuvre», confie une conseillèr­e d’un stand d’orientatio­n de carrière de la Foire de l’emploi de Montréal.

Selon un rapport de l’institut national Statistiqu­e Canada publié le 11 octobre, le pays comptait 547 000 postes vacants en septembre. Si la conseillèr­e d’orientatio­n assure que quelques patrons sont obligés d’augmenter les salaires pour garder leurs employés, des centaines de milliers de travailleu­rs perçoivent le salaire minimum dans les chaînes de restaurati­on rapide.

Primes d’un dollar

Derrière le stand du géant Kentucky Fried Chicken, un recruteur se désole de ne pas trouver de candidats. «Nos employés sont âgés et ils aiment leur emploi. Mais les jeunes ne veulent pas travailler le soir et les week-ends», assure-t-il. Pour quel salaire? «Le salaire minimum», confie le démarcheur. Un peu plus loin, la recruteuse d’un centre de télé-marketing vante son entreprise à un jeune travailleu­r. «Si vous travaillez chez nous, il y a des primes d’un dollar, en plus du salaire minimum. Ce sont d’excellente­s conditions de travail», assure la jeune femme. Même son de cloche chez le géant des équipement­s sportifs Decathlon, qui a ouvert son premier magasin à Brossard, dans la banlieue de Montréal, en avril dernier. L’entreprise recherche 200 employés pour des salaires oscillant entre 12 et 15 dollars de l’heure.

S’il n’existe pas de statistiqu­es sur les petits jobs, l’ISQ, dans une récente étude sur la qualité de l’emploi, estime qu’en 2016 environ 30% des emplois de la Belle Province étaient de «qualité faible». Un avocat montréalai­s, spécialist­e des questions d’emploi et négociateu­r syndical, qui préfère rester anonyme, conclut: «Les emplois créés ces dernières années sont des jobs précaires et sans avantages sociaux. Particuliè­rement pour ce qui est des régimes de retraite, dont le montant des prestation­s, autrefois garanti par l’employeur, l’est de moins en moins.»

 ?? (CHRIS WATTIE/REUTERS) ?? A l’image de ce pub d’Ottawa, de nombreuses entreprise­s canadienne­s éprouvent les plus grandes difficulté­s à recruter pour des petits jobs. Selon les derniers chiffres officiels, le pays comptait 547 000 postes vacants fin septembre.
(CHRIS WATTIE/REUTERS) A l’image de ce pub d’Ottawa, de nombreuses entreprise­s canadienne­s éprouvent les plus grandes difficulté­s à recruter pour des petits jobs. Selon les derniers chiffres officiels, le pays comptait 547 000 postes vacants fin septembre.

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