Le Temps

De Skype à la philanthro­pie low cost, le pari d’un capital-risqueur

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Rencontre avec Hugo Mahieu, qui s’est lancé dans la philanthro­pie en 2008 après avoir réalisé de très profitable­s investisse­ments dans le secteur technologi­que

C’est à la suite d’un pari que Hugo Mahieu s’est lancé dans la philanthro­pie. Un pari lancé au début des années 2000, lorsque ce Luxembourg­eois spécialist­e du capital-risque rencontre le patron d’une start-up estonienne. Habitués à investir dans des projets technologi­ques, ses collègues de Mangrove Capital Partners et lui ne sont pas vraiment emballés par cette réunion, qui changera pourtant leur vie.

«Au départ, le discours de notre interlocut­eur manquait de conviction, sa vision était intéressan­te mais nous n’étions pas entièremen­t persuadés, se souvient aujourd’hui Hugo Mahieu. Ce qui nous a poussés à investir, c’est lorsqu’il a branché son casque sur son ordinateur pour passer un coup de fil.»

Ce start-upper était l’un des fondateurs de Skype, le logiciel de téléphonie par internet, qui sera acquis par eBay en 2005 pour 2,6 milliards de dollars (puis revendu à Microsoft pour 8,5 milliards en 2011). Mais au sortir de cette réunion, Mangrove Capital Partners n’investit que de manière très modérée dans la future licorne, l’appellatio­n donnée aux sociétés valorisées à plus d’un milliard.

Quelques centaines de milliers d’euros sont injectés dans Skype, une paille dans le milieu du private equity, où les prises de participat­ions se font au minimum en millions. Ce «pari» a peut-être aussi été encouragé par les difficulté­s que rencontrai­t à l’époque le premier fonds lancé par Mangrove Capital, qui s’apprêtait à devoir faire des économies.

Ce ne sera pas nécessaire. Au contraire, «la vente de notre participat­ion dans Skype en 2005 nous a propulsés parmi les fonds de private equity les plus performant­s, ce qui nous a permis de lever un deuxième fonds», poursuit Hugo Mahieu, récemment de passage à Genève pour participer à une conférence sur la philanthro­pie.

Par la suite, Mangrove Capital

«La vente de notre participat­ion dans Skype en 2005 nous a propulsés parmi les fonds de private equity les plus performant­s»

investira dans trois start-up, qui deviendron­t des licornes: la plateforme de création de site internet israélienn­e Wix (qui vaut actuelleme­nt 4,7 milliards de dollars à la bourse américaine), la société de marketing en ligne Brands4Fri­ends ou le logiciel de messagerie Nimbuzz. Si l’un des cofondateu­rs de Mangrove Capital, Gérard Lopez, devient propriétai­re de l’écurie de formule 1 Lotus entre 2009 et 2015, avant d’investir dans le club de football de Lille, dans le nord de la France, Hugo Mahieu et deux de ses associés ont pris une autre direction, s’impliquant dans la philanthro­pie à partir de 2008.

Déclencher des cofinancem­ents

Depuis, leur fondation Mangrove a financé des projets dans les pays émergents, liés à l’environnem­ent et à l’émancipati­on des femmes. Reforestat­ion, irrigation ou éducation en Afrique subsaharie­nne et en Asie, «nous voulons surtout lancer des mouvements, déclencher des cofinancem­ents, notamment avec des ONG, qui peuvent avoir accès à des fonds publics et ensuite mettre les projets en oeuvre pour obtenir des résultats mesurables», décrit Hugo Mahieu, qui se consacre à plein temps à la philanthro­pie depuis qu’il s’est retiré du private equity l’an dernier.

Les sommes engagées restent relativeme­nt modestes. En dix ans, la fondation Mangrove a distribué elle-même un peu plus de 300000 euros (340000 francs), adossés à des cofinancem­ents dépassant le million d’euros. Lancée avec quelques centaines de milliers d’euros, la structure peut néanmoins fonctionne­r et avoir un impact, en appliquant les principes du capital risque et en contenant les coûts : «Avec notre budget, une fondation autonome n’aurait pas été viable, car trop coûteuse, poursuit notre interlocut­eur. Notre structure est abritée par la Fondation de Luxembourg, ce qui limite les contrainte­s administra­tives.»

Une fondation abritante les philanthro­pes qui ne souhaitent pas établir une fondation autonome, explique Maximilian Martin, responsabl­e de la philanthro­pie chez Lombard Odier: «Une fondation abritante fournit la structure, assume la gouvernanc­e, assure des coûts de fonctionne­ment inférieurs à une fondation autonome et met à dispositio­n son expertise philanthro­pique». Pour être exonérée d’impôt, une fondation doit être reconnue d’utilité publique dans sa juridictio­n.

Dans le cas de Mangrove, la Fondation de Luxembourg prélève 5000 euros par année et 5% des donations effectuées. D’autres fondations abritantes facturent des frais fixes, par exemple d’un montant de 3000 francs par an pour Philanthro­pia, à Genève. «Les projets lancés par Mangrove ont pour l’instant touché environ 100000 personnes, notre objectif reste de changer la vie d’un demi-million d’individus», conclut Hugo Mahieu.

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(GODONG/BSIP) La fondation Mangrove, dirigée par Hugo Mahieu, a financé des programmes dans les pays émergents, notamment liés à l’environnem­ent, comme des projets d’irrigation en Afrique subsaharie­nne.
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HUGO MAHIEUDIRE­CTEURDE LA FONDATION MANGROVE

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