Le Temps

Bowie revu et corrigé

- PAR STÉPHANE GOBBO t @StephGobbo

◗ Qu’est-ce qui réunit Pascale Ferran, Todd Haynes, Bernardo Bertolucci, Luc Besson et Wes Anderson? Non, ce n’est pas le talent, et je ne vous dirai pas qui est l’intrus. Ce qui réunit ces cinéastes, c’est l’utilisatio­n dans un de leurs films de Space Oddity, premier tube de la carrière de David Bowie, qui en 1969 voyait le Londonien préfigurer la mission Apollo 11.

Si je ne sais pas quand Bertolucci ou Anderson ont découvert le chanteur, je me souviens très bien de ma première fois. C’était en 1983, j’avais 9 ans. J’étais dans un bistrot avec mes parents et, soudaineme­nt, j’ai été littéralem­ent happé par l’écran qui diffusait le clip de Let’s Dance. L’émotion de cette épiphanie me pousse peut-être à l’hyperbole, mais la découverte de cette silhouette longiligne – habits immaculés, chevelure peroxydée – chantant dans un bar australien un air aux accents pop et funk m’a véritablem­ent hypnotisé. Ce n’est que bien plus tard que j’ai saisi la dimension politique de cette vidéo mettant en scène des aborigènes.

Sur l’album Let’s Dance, on trouve aussi ce titre, Modern Love, sublimé par Leos Carax en 1986 dans Mauvais sang – peut-être la meilleure utilisatio­n d’une chanson de Bowie au cinéma. Mais à la suite de cette révélation de l’existence du Thin White Duke, je ne me rappelle pas avoir entendu parler de ses deux autres albums sortis dans les années 1980,

Tonight et Never Let Me Down. Et pour cause: mal accueillis, ils ont été reniés, en partie du moins, par leur auteur. C’est en 1995, avec le sombre et phénoménal 1.Outside, que j’ai finalement renoué avec Bowie.

Il y a bientôt trois ans, sa mort au lendemain de la sortie de Blackstar fut un choc, comme l’a été cette semaine la lecture dans

Rock&Folk d’un article de son biographe et ami Jérôme Soligny. J’y ai appris la commercial­isation, dans le coffret Loving the Alien (1983-1988), d’une version réenregist­rée de

Never Let Me Down. Oui, c’est bien ça: la voix originelle a été conservée, mais la musique a été rejouée. Déçu par le son de son dixseptièm­e album studio, Bowie aurait de son vivant émis l’hypothèse d’en proposer un remake. Certes, mais le faire de manière posthume est une manière d’effacer dans son dos un disque qui, même s’il est faible, fait partie de l’histoire de ce musicien souvent visionnair­e, mais capable aussi de se fourvoyer. Never Let Me Down est un marqueur, c’est peut-être son échec qui fera de l’ex-Lausannois un phénix capable de vivre au mitan des années 1990 une nouvelle adolescenc­e. Je n’écouterai pas cette nouvelle version. Et franchemen­t, une casserole de David Bowie vaudra toujours mieux qu’une scie de Céline Dion, non?

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