«J’achète ce qui me touche»
Ancien journaliste, rédacteur en chef du Luzerner Tagblatt et de la Swiss American Review, Max Ammann a mis à profit ses voyages professionnels à travers le monde, de 1978 à 2003 en qualité de directeur de la Coupe du monde de saut d’obstacles, pour constituer une collection d’art brut et outsider qui figure parmi les plus importantes.
Comment avez-vous découvert l’art brut finlandais? Je me suis rendu fréquemment en Finlande lors de déplacements professionnels. En 2001, j’ai entendu parler d’une exposition d’art outsider baptisée Ite Tehty Elämä [Ite signifie oeuvres d’autodidactes en finlandais, ndlr] qui allait se tenir au musée d’Helsinki. L’année suivante, j’ai acheté le catalogue. Enthousiasmé par ce que j’avais vu, je suis allé rencontrer une vingtaine de ces artistes, qui vivaient pour la plupart dans des forêts. A deux ou trois exceptions près, ils étaient tous retraités. Plusieurs d’entre eux étaient d’anciens paysans ou d’anciens ouvriers. Nous possédons sans doute, aujourd’hui, la plus grande collection d’art outsider finlandais (400 oeuvres) qui existe hors du pays.
Quand avez-vous commencé à collectionner? J’ai toujours collectionné. Etant jeune, j’ai acquis des oeuvres d’artistes locaux puis d’artistes suisses. En 1973, de retour de New York, où j’étais correspondant étranger d’un journal, j’ai commencé à acheter de l’art contemporain. J’ai visité de nombreuses foires d’art comme celle de Bâle et autres biennales d’art contemporain, dont Venise ou la Documenta de Kassel. Au début des années 1990, l’art contemporain a cessé de m’intéresser et de m’émouvoir. Je n’avais plus de coups de coeur. Je ne trouvais pas de vie dans ces installations, ces vidéos, cet art conceptuel. L’art destiné à être accroché sur des murs se faisait, lui, de plus en plus rare.
En 1995, j’ai découvert, avec ma femme Korine, la Collection de l’art brut à Lausanne. J’y ai retrouvé quelques artistes qui se trouvaient déjà dans notre collection, comme François Burland ou Hans Krüsi, mais que nous n’avions pas acquis sous l’étiquette d’art brut. J’ai dévoré une dizaine de catalogues d’art brut puis visité les principaux musées ou lieux d’exposition qui lui étaient dédiés, la Halle Saint-Pierre à Paris et le Musée de la Création Franche à Bègles en France notamment. C’est à ce moment-là, en 1995-1996, que j’ai abandonné l’art contemporain pour me recentrer sur l’art outsider.
Que trouve-t-on dans votre collection? Notre collection réunit environ 7000 oeuvres. Elle couvre tous les domaines de l’art dit outsider. On y trouve des oeuvres de malades psychiques, de handicapés mentaux, de détenus, de spirites et d’exclus vivant en marge de la société. Nous possédons des oeuvres de classiques de l’art brut, dont les Suisses Adolf Wölfli et Louis Soutter, les Français Anselme BoiX-Vives et André Robillard, les Autrichiens August Walla et Oswald Tschirtner ou encore l’Allemand Friedrich Schröder-Sonnenstern. Mais aussi des découvertes glanées ici ou là, au gré de nos voyages, telles les oeuvres du Hollandais Jeroen Pomp, des Finlandais Ilmari Salminen et Petri Martikainen, des Suisses Pya Hug et Jakob Morf et du Belge Michel Dave. J’achète avant tout ce qui me plaît, ce qui me touche, en prenant en compte la sincérité des oeuvres.
Où achetez-vous? J’ai toujours été fasciné par les artistes. J’en ai rencontré de très nombreux au cours de ma vie et j’ai parfois acheté directement auprès d’eux. Des 500 artistes qui figurent dans ma collection, nous avons rendu visite à près de 300 d’entre eux. Certains sont devenus des amis, comme Carol Bailly ou François Burland auxquels nous rendons visite tous les ans. J’achète aussi dans des galeries et dans des ventes publiques, et je fais parfois des échanges avec d’autres collectionneurs.
Votre collection a-t-elle été fréquemment exposée? Une exposition itinérante d’une sélection de 500 oeuvres a voyagé du musée d’Ittingen en direction de la France, au LaM de Villeneuve-d’Ascq en 2012, puis en Allemagne avant de revenir en France au musée de l’abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne en 2014, et enfin en Finlande dans le musée privé Serlachius à Mänttä-Vilppula, au nord d’Helsinki. Récemment, nous avons montré une sélection d’art finlandais à la Création Franche à Bègles (France) puis à l’Outsider Art Museum d’Amsterdam. Et une sélection d’oeuvres d’art outsider, au printemps 2018, dans l’espace culturel Le Commun de la ville de Genève.
Quels sont vos derniers coups de coeur? Dans le canton d’Appenzell, nous avons découvert les oeuvres de Bruno Knechtle, un homme de 35 ans souffrant du syndrome de Down, et qui réalise d’étonnants dessins figurant des vaches en train de paître dans les alpages. Nous aimons beaucoup également les oeuvres de Coen Ringeling (Pays-Bas), de Matthieu Evrard (Belgique) et de Justyna Matysiak (Pologne).
Comment expliquez-vous cet engouement pour l’art brut et outsider depuis une dizaine d’années? C’est peut-être que l’art contemporain n’est plus compréhensible. Les créations d’art outsider me semblent plus sincères.
■