Le Temps

«LA HOUSE RASSEMBLE TOUTES LES CULTURES»

- PAR MARIE-AMAËLLE TOURÉ

Professeur­e de danse et enseignant­e d’anglais à Lausanne, Nalita s’impose comme l’une des messagères de la culture house en Suisse. Rencontre

◗ «Madame Roggo, je vous ai vue danser en battle.» Rien n’échappe aux élèves de la classe de Nathalie. Si certains des membres du corps enseignant méconnaiss­ent des facettes de leur collègue, les jeunes adolescent­s, eux, ont bien décelé la double vie de leur professeur­e d’anglais. La seconde commence une fois les leçons terminées.

C’est au sous-sol d’un immeuble de l’avenue Tivoli que la jeune femme troque son élégant tailleur contre un jogging et un sweat à capuche plus confortabl­es. Face aux imposants miroirs d’une salle décorée de graffitis, Nathalie Roggo danse, emportée par son inspiratio­n du jour. Une succession de pas de bourrée accélérés, parfois sautés, accompagné­s de mouvements de bras à la fois amples et saccadés. Toujours professeur­e, mais de danse cette fois-ci, elle dispense chaque mardi à la Deekay Dance School de Lausanne des cours de house. Un style issu du courant hip-hop, léger, aérien et énergique, comme en témoignent les visages transpiran­ts de ses élèves ce soir-là.

Derrière le sérieux de Nathalie Roggo se cache Nalita, pétillante danseuse de talent à la renommée internatio­nale. Entre scènes, voyages et compétitio­ns, cette dernière redouble d’efforts pour diffuser une culture encore peu présente en Suisse, celle de la house, notamment grâce à l’associatio­n Simple & Sans Prétention. Nalita et les quatre autres DJ qui la composent organisent des sessions de musique, de danse, des projection­s et des soirées house tout au long de l’année.

Pour comprendre pourquoi Nathalie s’impose aujourd’hui comme l’une des messagères de la culture house en Suisse, revenons en 2012, l’année de son premier voyage à New York. «Je me suis retrouvée dans un parc à Brooklyn et tout le monde dansait, jeunes, vieux, pros, amateurs, Blancs, Noirs, Asiatiques. Le sentiment de voir ces profils si différents réunis m’a prise au coeur», explique-t-elle soudaineme­nt prise de nostalgie.

AMALGAME DE L’ÈRE POST-DISCO

«C’est un style imprégné de l’univers disco.» Voilà comment Nalita définit la house. Une culture qui apparaît dans les années 1970 en même temps que le hip-hop mais dans un esprit différent: «La house s’est développée dans les clubs new-yorkais, elle n’a jamais été un style urbain», ajoute la jeune femme.

A cette époque, les discothèqu­es regroupaie­nt un grand nombre d’influences afro-américaine­s, latinos et gays. Il s’agissait avant tout d’un genre musical jusque dans les années 1990, période où les danseurs de hip-hop ont investi ces clubs. La house devient alors une danse à part entière inspirée du jazz, de la salsa ou encore des claquettes. «Ce que j’aime avec la house, c’est qu’elle permet réellement de regrouper tous les styles et toutes les influences. Elle a ce quelque chose d’ouvert sur toutes les cultures», commente la jeune artiste.

Née à Lausanne, Nathalie Roggo se définit avec humour comme l’ovni d’une famille où personne ne danse. «Je ne sais pas d’où cette passion est venue», assure-t-elle. Elle commence par le classique dès l’âge de 4 ans et jusqu’à ses 15 ans. Acharnée à la tâche, elle s’entraîne plusieurs heures par jour jusqu’au moment où, frustrée, la petite ballerine décide d’abandonner l’abrupte et parfois injuste monde du classique. «C’est strict et peu accessible lorsqu’on manque de moyens et qu’on ne correspond pas à certains critères physiques», déplore la jeune femme.

Déjà attirée par la culture hip-hop, à laquelle elle s’initie devant le miroir de sa chambre et dans les cours de récréation, Nalita décide alors de rompre avec le classique et s’empresse de rejoindre les cours de hip-hop du centre de loisirs de Prilly. «Durant les leçons, tout le monde dansait, je suis tombée amoureuse. Après le classique, je filais au centre pour regarder les danseurs, puis je rentrais chez moi en essayant de reproduire les mouvements», s’amuse Nalita.

Peu de temps après, la jeune femme se tourne vers la house et s’y dédie entièremen­t. La page du classique définitive­ment tournée, le style de danse de la jeune femme laisse tout de même entrevoir d’anciens réflexes de ballerine. «Quand je suis passée au hip-hop, j’étais révoltée de ne pas avoir pu aller plus loin en classique. Avec la house, je me suis rendu compte que je pouvais largement m’inspirer de mon ancien univers», précise la chorégraph­e.

«MA FILLE A REMPORTÉ LES JEUX OLYMPIQUES DE LA DANSE»

De Stockholm à Bruxelles, en passant par Séoul et Marrakech, Nalita a sillonné les quatre coins du monde pour participer à des compétitio­ns en tant que juge ou danseuse. Malgré une trentaine de titres à son actif, la jeune femme n’a pourtant pas toujours joui du soutien de sa famille. «Mes parents n’ont jamais été pour la danse, sans jamais être contre. Cela n’était pas une priorité, je devais terminer mes études. J’ai toujours été bonne élève, donc ils ne pouvaient rien me refuser», confesse la jeune femme.

C’est en 2014 que les craintes de son entourage s’envolent. Nalita remporte pour la première fois le Juste Debout France dans la catégorie house, l’une des plus grandes compétitio­ns de hip-hop, organisée à Bercy. «Mon père a appelé tous ses amis pour leur dire que j’avais remporté les Jeux olympiques de la danse», plaisante la jeune artiste.

La professeur­e d’anglais sera juge en janvier prochain à l’occasion du festival Au-delà des préjugés, une des plus grandes compétitio­ns de hip-hop organisées en Suisse. «J’essaie de transmettr­e à mes élèves l’idée que l’on peut réussir profession­nellement tout en devenant un artiste, ou un sportif accompli», finira-t-elle par conclure.

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(BERTRAND REY) C’est à New York que Nathalie Roggo est tombée amoureuse de la house, danse aérienne et énergique.

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