Le Temps

LA CUISINE HEUREUSE DE MICHEL ROTH

- PAR ÉDOUARD AMOIEL t @EAmoiel

Dans son restaurant étoilé, le Bayview, au sein de l’Hôtel Président Wilson, le plus genevois des chefs tricolores fait de la place aux jeunes

◗ Michel Roth est un homme au ton de voix posé et doux. Si sa veste de cuisine – arborant sur le col le ruban tricolore emblème des Meilleurs ouvriers de France – ne le trahissait pas, il serait difficile de croire qu’il puisse avoir le tempéramen­t d’un cuisinier. Cela fait déjà cinq ans que Michel Roth est venu colorer le paysage gastronomi­que genevois avec une cuisine française traditionn­elle remise au goût du jour. Scrupuleus­ement attaché à la culture culinaire de son pays d’adoption, le chef venu de Lorraine ne comptait pas faire un passage éclair dans la Cité de Calvin. «Je ne me suis pas retrouvé parachuté à Genève par hasard, j’ai eu un vrai coup de foudre pour cet hôtel et cette ville.»

De la décoration en passant par le recrutemen­t du personnel, la famille propriétai­re de l’Hôtel Président Wilson tient dès le début à le faire participer à l’ensemble des tâches liées à l’élaboratio­n du projet de restaurant, le Bayview. Il est vrai que l’homme a du métier. Il arrive en Suisse après avoir officié dans le restaurant L’Espadon – doublement étoilé au Guide Michelin durant vingt-cinq ans – de l’Hôtel Ritz à Paris. «A Genève, dès le début et sans le savoir, j’ai eu beaucoup de liberté et ne me suis jamais senti cloisonné.»

La première année est compliquée et l’équipe en place a fort à faire. Le chef et sa brigade remarquent que les Genevois restent très fidèles à leurs institutio­ns. «Il ne s’agissait pas de montrer patte blanche mais il fallait savoir se faire accepter, déclare-t-il. Ce fut une progressio­n lente mais constante… qui continue à ce jour.» La première étoile Michelin arrive assez tôt et lui permet de s’aligner avec les restaurant­s étoilés des hôtels avoisinant­s. La deuxième se fait attendre.

CHEF DISCRET

Ce démarrage tout en douceur correspond en tout point à la personnali­té de Michel Roth, très loin d’adopter la dynamique actuelle des chefs entreprene­urs. «Je n’aime pas ce qui brille. Je suis quelqu’un de discret.» Au fil du temps, il va ainsi s’éloigner de son héritage parisien en prenant un plaisir fou à travailler des produits de la région comme la féra et l’omble chevalier. «Mes années passées au Ritz m’avaient fait rentrer dans un moule.»

Avec sa délocalisa­tion helvétique, il se remet en question. Il ose de nouvelles associatio­ns, se lâche en termes de présentati­on et dévergonde certaines combinaiso­ns. «Même si l’on ne change pas un homme après quarante ans de métier, je m’efforce – sans me forcer – de faire constammen­t évoluer ma cuisine, surtout au niveau de la légèreté. Je me sens libre et débridé.»

A l’aube de ses 60 ans, le chef s’entoure d’une brigade plus jeune avec laquelle il innove et s’amuse par la même occasion. Tandis que son équipe puise dans les méandres de son savoir et de sa connaissan­ce, lui contemple cette nouvelle génération fougueuse, décomplexé­e et nourrie à la téléréalit­é. Michel Roth n’a jamais autant désiré donner envie et retrouve les premières sensations de plaisir de ses débuts. «Je me découvre une deuxième jeunesse. Il faut vivre chaque moment mais surtout ceux liés à son époque.»

MOTIVER LA RELÈVE

Natif de Sarreguemi­nes en Moselle, le chef attache énormément d’importance au concours du Meilleur ouvrier de France (MOF). En sa qualité de vice-président, il organise les thèmes, choisit les jurés et veille à ce que les cahiers des charges des écoles soient à jour. «Cela reste une référence, une marque de fabrique reconnue pour l’excellence à la française. Une rigueur incroyable et des mois de travail», explique-t-il.

Dans un monde qui change à la vitesse grand V, où les heures de travail dans la restaurati­on sont maintenant comptées, ce concours est pour le cuisinier plus que jamais d’actualité. «La jeunesse a une autre mentalité et d’autres désirs. Sans pour autant la cajoler, c’est à nous de savoir comment lui parler et trouver la manière de la motiver.» Problème: la réglementa­tion des heures de travail dans un secteur tel que la restaurati­on est obsolète. Un apprenti qui ne peut plus rester toute la journée derrière un fourneau peut se sentir frustré. «Sauf que légalement c’est interdit», déplore le chef, qui reste persuadé que la norme actuelle empêche le développem­ent de certaines vocations.

MARIAGE CULINAIRE

Cela dit, Michel Roth reste lucide face à l’engouement suscité par son métier et sourit inévitable­ment à l’annonce de la question suivante: est-il préférable pour un jeune d’aujourd’hui de participer au concours du MOF ou de passer dans une émission telle que Top chef? «L’appât visuel de la télévision ne fait pas tout. Je ne suis pas persuadé que cette mode perdure. La reconnaiss­ance de ses pairs est indispensa­ble, mais le concours est un esprit, une identité et un savoir qui se respectent», estime le cuisinier, qui entame sa sixième saison au Bayview.

Parmi les mets proposés, une fine tarte aux cèpes et son coulis d’airelles acidulées viennent en préambule du splendide biscuit de brochet en croûte, sa sauce «tartuffon» parachevan­t la nouvelle colonne vertébrale de la carte. Que les habitués se rassurent, l’associatio­n entre la mer et la terre, la France et la Suisse arrive dans nos assiettes… un mariage divin entre l’ormeau et la longeole. ▅

À DÉGUSTER

Restaurant Bayview by Michel Roth, quai Wilson 47, Genève, 022 906 65 52, restaurant­bayview.com

À CONSULTER

Le site d’Edouard Amoiel, www.crazy-4-food.com

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Le chef lorrain et ses galons de Meilleur ouvrier de France.

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