Le Temps

LES PREMIERS PAS DU PÈRE DE WALLANDER

- PAR MIREILLE DESCOMBES

Resté inédit en français, «Le dynamiteur» de Henning Mankell révèle un auteur déjà passionné par les destins singuliers et les personnage­s silencieux

◗ Découvrir le premier roman d’un auteur décédé est toujours émouvant. Surtout s’il s’appelle Henning Mankell, qu’il est le père de l’inspecteur Kurt Wallander et le créateur d’un des plus beaux romans qui soient, Les chaussures italiennes. Quand, en 1973, il publie Le dynamiteur, l’écrivain suédois n’a que 25 ans. Jusque-là, il a placé de petits textes dans des journaux et fait jouer quelques pièces de théâtre. A l’occasion de la réédition en suédois du livre, en 1997, il se souvenait l’avoir écrit dans des appartemen­ts venteux entre deux manifestat­ions contre la guerre au Vietnam. Il précisait aussi que son roman avait reçu de bonnes critiques et ajoutait: «Dans cette édition, j’ai effectué quelques correction­s mineures. Mais le récit est identique. Je n’y ai pas touché. Cela n’a pas été nécessaire.»

LE RÉAFFLEURE­MENT DES SOUVENIRS

Aujourd’hui encore, Le dynamiteur – qui était resté inédit en français – n’a pas pris une ride. Bien que située dans la première moitié du XXe siècle, son histoire est atemporell­e puisqu’elle parle de ce qui fait l’essence de l’homme et de sa dignité. Le roman tourne – et le terme est à prendre au sens propre – autour de la figure énigmatiqu­e et fascinante d’Oskar Johansson (1888-1969). A 23 ans, alors qu’il participai­t au percement d’un tunnel, cet homme a été victime d’un terrible accident auquel il a miraculeus­ement survécu. Bien que gravement mutilé, il a repris son métier et s’est marié. Le couple, très uni, a élevé trois enfants tout en militant activement pour une société plus juste.

Le narrateur fréquente Oskar Johansson à l’automne de sa vie. Devenu veuf, il passe ses étés dans un ancien sauna de l’armée sur une île sans nom «en forme de boomerang tronqué» située dans l’archipel extérieur. Ensemble, ils partent à la pêche, boivent du café et peu à peu le dynamiteur lui confie son histoire. De façon hésitante, par moments lacunaire, répétitive ou balbutiant­e, mais toujours pudique et réservée. Les familiers de Mankell auront ainsi noté la présence de certains motifs récurrents dans son oeuvre: l’importance de l’île et de l’eau, l’intérêt pour les métiers et les talents inhabituel­s, le thème de la vieillesse associé au réaffleure­ment des souvenirs.

LES ERREURS DE JEUNESSE

Si le contenu, l’histoire sont déjà fort bien maîtrisés, la forme et le style le sont un peu moins. Sur ce point, le roman semble encore un peu vert. Avec une avidité propre aux nouveaux romanciers, Mankell donne l’impression qu’il veut tout mettre et tout essayer pour coller au plus près de l’expérience même de l’écoute. Très vite, il casse ainsi la classique alternance entre passé et présent pour interrompr­e le récit, glisser des arrêts sur image, des incises, des poèmes ou nous convier dans les coulisses de l’écriture, avec un goût pour la mise en abyme assez typique de l’époque. C’est ainsi qu’à la page 50, soudain, il nous livre quelques notes en forme de mots clés et suggère: «Le récit est une tentative de reconstitu­er ce qu’Oskar n’a jamais dit.»

Ensemble, ils partent à la pêche, boivent du café et peu à peu le dynamiteur lui confie son histoire

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Genre | Roman Auteur | Henning Mankell Titre | Le dynamiteur Traduction | Du suédois par Rémi CassaigneE­diteur | Seuil Pages | 218

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