Le Temps

Le vote sur Moutier annulé pour «propagande»

Une informatio­n assimilée à de la «propagande» et une tenue très aléatoire du registre électoral ont conduit à l’annulation d’un scrutin qui suspend le transfert de Moutier dans le Jura. Une décision qui s’appuie sur la jurisprude­nce récente du Tribunal f

- MICHEL GUILLAUME t @mfguillaum­e

L’engagement excessif des autorités de la cité prévôtoise pour le rattacheme­nt au Jura conduit à l’annulation du scrutin de 2017. Colère et stupéfacti­on chez les autonomist­es

Moutier ne peut pas rejoindre le canton du Jura malgré le vote de ses habitants en ce sens l’an dernier, par 51,7% des voix. Consternés, les autonomist­es jurassiens ont dénoncé une «décision politique» qui aurait été dictée par le canton de Berne à la préfète, Stéphanie Niederhaus­er.

Mais dans sa décision, celle-ci affirme se baser sur une jurisprude­nce récente du Tribunal fédéral. Cet été, le plus haut tribunal du pays a d’abord annulé la votation de Peseux (NE) sur une fusion de communes, estimant que les vainqueurs du scrutin, qui avaient tenu un stand devant le local de vote, avaient commis là de «graves irrégulari­tés». Puis il a récidivé en invalidant une double votation sur un plan de quartier à Tolochenaz.

Pour le Tribunal fédéral, lors de tels scrutins, l’autorité communale a le droit de prendre position, mais elle doit respecter un devoir d’objectivit­é, «ce qui exclut des interventi­ons excessives et disproport­ionnées s’apparentan­t à de la propagande». Et à Moutier, selon Stéphanie Niederhaus­er, les autorités communales séparatist­es se sont livrées à «une propagande non admissible». Notamment en tentant d’enrôler parents d’élèves et enseignant­s pour le oui au rattacheme­nt au Jura. Dans le premier cas, la commune a envoyé un courrier aux parents des enfants fréquentan­t l’école à journée continue en leur garantissa­nt la pérennité de celle-ci en cas de oui. Or, le Jura ne connaît pas un régime d’horaire continu, contrairem­ent à Berne. Toujours au printemps 2017, le maire autonomist­e de la cité prévôtoise, Marcel Winistoerf­er, a adressé un message aux enseignant­s de l’école obligatoir­e de Moutier en les exhortant à déposer un oui dans les urnes, leur promettant cette fois que leurs salaires et retraites resteraien­t au même niveau que dans le canton de Berne. La préfète critique le terme de «message» utilisé à cette occasion, qui impliquait une communicat­ion officielle.

La Question jurassienn­e n’est pas close, contrairem­ent à ce qu’on avait pu croire le 18 juin 2017, lorsque le peuple de Moutier avait voté en faveur de son rattacheme­nt au canton du Jura à une petite majorité de 137 voix. Ce lundi, la préfète du Jura bernois, Stéphanie Niederhaus­er, a admis six des sept recours, suspendant ainsi le transfert de la capitale prévôtoise de Berne au Jura.

Dans ses considéran­ts, elle s’est basée sur la jurisprude­nce récente du Tribunal fédéral (TF), qui a considéré «de manière sévère les violations aux devoirs d’objectivit­é, de transparen­ce et de proportion­nalité» dans l’informatio­n que les autorités transmette­nt à leurs citoyens.

Cette décision est un séisme politique. Dans les deux cantons concernés, de même qu’à la Confédérat­ion, tout le monde partait du fait que, malgré les recours, ce vote serait validé: en novembre dernier, les trois parties ont même dissous l’Assemblée interjuras­sienne, cet organe créé en 1994 pour régler la Question jurassienn­e. Mais les perdants de la votation ont repris espoir cet été. Coup sur coup, le TF a sanctionné deux autorités communales. Il a d’abord annulé la votation de Peseux dans un cas de fusion de communes, estimant que les vainqueurs du scrutin, qui avaient tenu un stand devant le local de vote, avaient commis là de «graves irrégulari­tés». Puis il a récidivé en invalidant une double votation sur un plan de quartier à Tolochenaz.

Pour le TF, l’autorité n’est pas tenue à un devoir de neutralité, mais elle doit respecter un devoir d’objectivit­é, «ce qui exclut des interventi­ons excessives et disproport­ionnées s’apparentan­t à de la propagande propres à empêcher la formation de l’opinion». C’est ce que reproche la préfète, Stéphanie Niederhaus­er, au Conseil municipal de Moutier et en particulie­r à son maire, Marcel Winistoerf­er. Selon elle, à plusieurs reprises, celui-ci a oublié sa fonction pour se comporter en militant. L'école enrôlée

Dans un premier cas, la commune a envoyé, le 23 mai 2017, un courrier aux parents des enfants fréquentan­t l’école à journée continue en leur garantissa­nt la pérennité de celle-ci en cas de oui. Or, le Jura ne connaît pas un régime semblable au canton de Berne, qui oblige ses communes à disposer d’une telle école de jour. La préfète en déduit que l’informatio­n adressée aux parents d’élèves «n’était pas objective et visait clairement à influencer une partie de l’électorat».

Presque à la même date, Marcel Winistoerf­er a adressé un message aux enseignant­s de l’école obligatoir­e de Moutier en les exhortant à déposer un oui dans les urnes, leur promettant cette fois que leurs conditions salariales et leurs retraites resteraien­t au même niveau que dans le canton de Berne. Pour sa défense, le maire a déclaré avoir agi à titre personnel, ajoutant qu’il était mu par le souci de rétablir la vérité face «aux affirmatio­ns fausses» des partisans du maintien de Moutier dans le canton de Berne, lesquels prétendaie­nt que les enseignant­s prévôtois devraient surtout participer à la recapitali­sation de la caisse de pension jurassienn­e. Ce n’est pas du tout l’avis de la préfète, qui critique le terme de «message», impliquant une communicat­ion officielle. Ce n’était ainsi plus l’enseignant qui s’adressait à ses collègues, mais le maire qui parlait et qui, de plus, tenait des propos peu mesurés assimilabl­es à de la propagande.

Tourisme électoral

Autre motif de l’annulation du scrutin: une tenue très aléatoire du registre communal, soulevant la question du «tourisme électoral», qui pourrait avoir faussé le scrutin. Certes, Stéphanie Niederhaus­er ne répond jamais à cette question de manière péremptoir­e. Mais elle souligne de «graves manquement­s». On le sait, les autorités prévôtoise­s ont très longtemps gardé secret leur registre électoral.

Or, en janvier 2017, le Conseil exécutif bernois avait arrêté les mesures particuliè­res relatives à un scrutin qu’on savait crucial pour l’avenir de la région, habilitant sa chanceller­ie à intervenir si des irrégulari­tés devaient être observées. Le 22 mai, celle-ci a demandé la liste nominative du registre électoral, que le Conseil municipal a refusé de lui transmettr­e. L’exécutif de Moutier s’est justifié en disant «qu’il n’avait pas suffisamme­nt confiance pour transmettr­e des données dignes de protection et extrêmemen­t sensibles vu le contexte politique». Mais il ne dit pas pourquoi il ne les a livrées à l’Office fédéral de la justice (OFJ) que le samedi 17 juin, soit avec quatre jours de retard. «En refusant de transmettr­e ce registre à temps, le Conseil municipal de Moutier a rendu plus difficile, voire impossible, la surveillan­ce du registre des électeurs», tranche Stéphanie Niederhaus­er.

La préfète note 44 cas problémati­ques relevant du tourisme électoral. Parmi eux, des domiciliat­ions fictives d’habitants de 30 à 40 ans qui ont une adresse chez leurs parents et ne paient parfois pas d’impôts à Moutier, des personnes privées de capacité de discerneme­nt qui ont tout de même voté, d’autres qui ont quitté la commune avant le délai de clôture du registre, mais qui y figuraient encore le jour du scrutin.

Sommaruga défend ses services

Ce scrutin a beau avoir été le plus surveillé de l’histoire suisse, il n’en a pas moins été entaché d’irrégulari­tés qui ont conduit à son invalidati­on. Le gouverneme­nt jurassien ne comprend pas cette décision. «Si quelques maladresse­s des autorités de Moutier sont relevées, nous doutons fort que ce qui leur est reproché aujourd’hui ait pu modifier l’issue du vote. Les 88 pages de la décision ne le démontrent aucunement», a-t-il réagi.

Pour sa part, la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga a pris acte du jugement et a appelé au calme. Elle prend la défense de l’OFJ, qui devait assurer le bon déroulemen­t du scrutin. «Les observateu­rs n’étaient pas chargés de surveiller la campagne ni de se prononcer sur les soupçons de domiciliat­ions fictives», a-t-elle souligné.

Pour continuer votre lecture, retrouvez notre interview de Dick Marty sur www.letemps.ch

«En refusant de transmettr­e ce registre à temps, le Conseil municipal de Moutier a rendu plus difficile, voire impossible, la surveillan­ce du registre des électeurs»

STÉPHANIE NIEDERHAUS­ER

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(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Pour Marcel Winistoerf­er, maire autonomist­e de Moutier, «cette décision est une ignominie».

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