Neuchâtel en guerre contre les pailles
Les obstacles juridiques n’ont pas entamé la détermination de la capitale neuchâteloise à réduire les déchets dans la gastronomie. Elle avance avec la société civile et la bonne volonté des restaurateurs
En matière d’écologie, Neuchâtel fait figure de ville pionnière en Suisse, comme le démontre le mouvement Papaille. Depuis avril, de nombreux bistrots et restaurants ont banni les pailles en plastique, ce fléau qui tue la faune et pollue les mers.
Sur les paisibles terrasses de la vieille ville de Neuchâtel, les pailles en plastique disparaissent petit à petit. Depuis avril, près d’une vingtaine de bistros et restaurants ont rejoint le mouvement Papaille, de l’association En Vert Et Contre Tout, soutenu par la ville et par l’association professionnelle GastroNeuchâtel. Une révolution douce, un petit pas qui en cache de plus grands dans une ville qui se veut pionnière en matière de développement durable.
C’est en goûtant au thé bio de l’Okapi, l’un des premiers cafés à avoir adhéré au mouvement, que nous rencontrons Leïla Rölli, égérie et cerveau du mouvement. Cette jeune journaliste dynamique tient un site écologiste et mène son combat pour la planète en tentant de changer les habitudes des gens, sans pour autant les bousculer, toujours avec le sourire. «Militer dans les bistros est un moyen d’atteindre toute la population, au-delà du cercle des convaincus», dit-elle en expliquant sa démarche.
Un geste symbolique
En début d’année, Leïla Rölli a pris contact avec de nombreux établissements publics pour leur exposer la thématique des pailles. Celles-ci sont régulièrement citées comme l’un des dix déchets en plastique le plus souvent retrouvés dans les eaux, un fléau écologique qui tue la faune et pollue les océans. Elle a proposé aux tenanciers des alternatives biodégradables en maïs ou des pailles en inox réutilisables.
La jeune femme se félicite d’avoir trouvé de toutes parts des volontés favorables. De nombreux établissements se sont enthousiasmés pour son idée et la ville a proposé de soutenir l’action en fournissant gratuitement des kits de pailles compostables à ceux qui suivraient le mouvement. Les participants sont estampillés «Papaille» par le biais d’un autocollant. «C’est mieux que celui de GaultMillau», plaisante le patron de l’Okapi. GastroNeuchâtel a en outre décidé de soutenir l’initiative financièrement et de communiquer à ce sujet au sein de la section cantonale.
Au Charlot, le patron a fait le choix des pailles biodégradables, qui, de surcroît, ne sont plus guère offertes que pour les cocktails. «Si quelqu’un tient absolument à avoir une paille dans son coca, il doit venir la chercher au bar, nous ne l’amenons plus en terrasse», précise le responsable du bar.
«Je joue volontiers le jeu», nous dit le propriétaire du Bleu Café, de la crêperie L’Annexe et du Café Le Baron, qui utilise les pailles dans deux de ses trois établissements. A la Case à Chocs, l’espace alternatif de Neuchâtel, il est dans l’ADN du lieu de participer à ce genre d’initiatives, indique sa porte-parole, Diane Rodrigues. Une grande chaîne de fast-food était même prête à suivre, mais s’est vue dans l’impossibilité d’agir sans l’accord de sa hiérarchie nationale. L’enthousiasme généré par «ce petit geste qui peut paraître dérisoire» est l’illustration d’une synergie locale entre acteurs politiques, société civile et commerçants, qui d’ailleurs fait des émules: Leïla Rölli est régulièrement contactée par des gérants de bistrots à travers toute la Suisse romande et bon nombre d’entre eux, de Genève à Lausanne, de Sion à Bienne, ont emboîté le pas à leurs collègues neuchâtelois.
Sentant le vent favorable de l’opinion et des établissements publics, la conseillère municipale Violaine Blétry-de-Montmollin (PLR), en charge des infrastructures, aurait voulu aller plus loin, en mai dernier, en décrétant l’interdiction des pailles par arrêté communal. Son ardeur a été rapidement ralentie par le canton, qui lui a rappelé que ce genre d’interdictions est une prérogative fédérale.
Violaine Blétry-de-Montmollin ne cache pas sa frustration de voir de tels mouvements entravés par des lourdeurs administratives et légales, mais maintient le cap en incitant les principales manifestations sur son territoire à réduire les déchets. Si le Festi’neuch et le Festival international du film fantastique (NIFF) ont montré l’exemple en rejoignant le mouvement Papaille, l’élue municipale a rencontré à la mi-octobre le président de la Fête des vendanges afin d’établir une collaboration en vue de réduire les déchets.
L’incitation est la voie que préconise également le conseiller d’Etat Laurent Favre (PLR). Lui qui avait rappelé la ville à l’ordre est favorable à la cause, mais estime qu’il vaut mieux convaincre que contraindre. «Les résultats sont d’autant meilleurs», affirme-t-il, tout en rappelant qu’une interdiction des sacs en plastique a échoué au niveau fédéral et que seul un accord de branche a permis de réduire l’utilisation de sacs jetables dans la grande distribution.
La ville a proposé de soutenir l’action en fournissant gratuitement des kits de pailles compostables à ceux qui suivraient le mouvement
Pour autant, Neuchâtel ne renonce pas complètement à interdire les pailles. «Nous pensons passer par la loi sur les établissements publics, où la commune a une marge de manoeuvre plus grande», explique Violaine Blétry-de-Montmollin. «Il est de notre responsabilité d’exécutifs locaux de sensibiliser la population aux thématiques de ce genre», affirmet-elle. Pour Leïla Rölli, la démarche va au-delà de l’interdiction: «Je n’ai pas la volonté d’imposer, mais de réveiller les mentalités. Nous ne nous battons pas contre la liberté individuelle, mais pour la survie collective.»
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Prochain épisode: Winterthour, pionnière de la déradicalisation