Le Temps

Quand Chappatte irrite Fox News

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

En caricatura­nt le président Trump aux côtés de soldats à la frontière mexicaine, le dessinateu­r s’est attiré les foudres du clan républicai­n pro-armée. Un déchaîneme­nt qui traduit le climat de tension à la veille des «midterms»

tLe coup de crayon de Patrick Chappatte vise souvent fort et juste. Ce week-end, il a fortement irrité la très conservatr­ice chaîne américaine Fox News. Cause du grief: un dessin publié vendredi sur le site du New York Times représenta­nt le président, Donald Trump, en compagnie de militaires aux abords de la frontière mexicaine. «Je me suis enrôlé pour combattre au MoyenOrien­t», clame un soldat. «Pas pour les midterms», souffle un autre.

Dans son émission du soir, le présentate­ur de la chaîne d’informatio­n en continu, Tucker Carlson, a dit tout le mal qu’il pensait de cette «caricature» hébergée par le célèbre quotidien new-yorkais. «Ce croquis dit tout de leur perception de l’Amérique, de ce qu’ils pensent de vous, c’est vraiment incroyable!» a-t-il lancé, outré, à l’électeur/spectateur. Si Fox News a récemment renoncé à diffuser l’intégralit­é des meetings électoraux de Donald Trump pour des raisons économique­s, sa ligne éditoriale proTrump n’a pas pour autant faibli.

L’interpréta­tion du dessin le prouve. «J’ai d’abord cru à une parodie élaborée par l’esprit tordu de la gauche américaine, mais non c’est bien réel, et c’est dans le New York Times, s’offusque Tucker Carlson. Selon ce journal, s’enrôler dans l’armée, ce n’est pas défendre son propre pays, mais être expédié dans un pays inconnu sans liens avec les Etats-Unis pour y tuer des gens sans raison, voire y perdre la vie.»

Les youtubers ne sont pas en reste. «NYT pense que nos troupes veulent combattre au Moyen-Orient au lieu de protéger la frontière américaine: #WrongAgain­Journocrat­s», lance l’un d’eux. «Lorsqu’un pays est sous la menace imminente d’une invasion, et c’est exactement ce qu’est cette caravane de migrants, c’est le devoir de nos militaires de défendre nos frontières», renchérit un autre.

Dans le flot d’attaques, certains volent au secours du dessinateu­r. «Critiquer les institutio­ns, y compris l’armée, est un symptôme d’une démocratie saine», estime un internaute. D’autant que «de la part de Fox News, une critique, surtout violente, devient un compliment…» souligne un autre.

Sur Twitter, Chappatte persiste et signe. «Ce dessin a beaucoup énervé Fox News et d’autres, écrit-il en légende. Un indice pour ceux qui ne comprennen­t pas: il ne s’agit pas ici d’épingler l’armée américaine, mais la politique de Donald Trump qui envoie des troupes à la frontière.» En ligne de mire, l’instrument­alisation de l’armée dans la campagne des «midterms». «Le terme «Middle East» n’a été choisi que parce qu’il y faisait écho.»

Assailli par les internaute­s courroucés en début de week-end, le dessinateu­r a cru à un violent «shitstorm», comme l’a récemment vécu sa consoeur du Washington Post Anne Telnaes. «Quand tu as ton dessin sur Fox News, c’est que tu as mis le doigt là où ça fait mal, glisset-il au téléphone. En définitive, malgré des centaines de commentair­es désapproba­teurs, essentiell­ement issus du clan républicai­n pro-armée, les likes ont pris le dessus.»

Que retenir de cette «expérience»? «Elle en dit long sur l’atmosphère extrêmemen­t polarisée qui règne aux Etats-Unis: quiconque prend la parole doit être pour ou contre la nation, pour ou contre l’armée. Quiconque émet une critique contre le gouverneme­nt est immédiatem­ent qualifié de traître démocrate, libéral, complèteme­nt déconnecté de la réalité.»

«On voit également que l’armée est un sujet ultrasensi­ble, presque sacré, poursuit Patrick Chappatte. La plupart des internaute­s s’acharnent sur quelque chose que le dessin ne dit pas. Le présentate­ur part du croquis pour établir sa propre théorie sur le rôle de l’armée. C’est très révélateur du traitement médiatique aux EtatsUnis. Il n’y a plus de réalité, il n’y a que des interpréta­tions.»

A ses yeux, la principale menace sur la liberté de la presse, aujourd’hui, ne vient pas des islamistes radicaux mais des réseaux sociaux, ceux-là mêmes qui peuvent également offrir au dessin une incroyable caisse de résonance.

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