Entre colère et soulagement, Moutier plus divisée que jamais
La décision de la préfecture du Jura bernois d'annuler le vote historique du 18 juin 2017 a provoqué des réactions plus que contrastées. Reportage dans une ville sous tension
La place de la gare de Moutier est vide en ce froid lundi matin. On est bien loin de l’effervescence de ce dimanche 18 juin 2017 où plusieurs milliers de personnes célébraient au son de La Rauracienne le oui des Prévôtois au rattachement de leur ville au Jura. Mais la tension est palpable dans les bureaux du Mouvement autonomiste jurassien (MAJ) où, sous le regard en noir et blanc de Roland Béguelin et de Roger Schaffter, les pères fondateurs du canton, on attend la décision de la préfecture du Jura bernois qui doit statuer sur les sept recours déposés à la suite du scrutin. Juste avant 9h, ce qui n’était qu’une rumeur quelques minutes auparavant est confirmé. A la suite d’une procédure qui aura duré seize mois, la préfète, Stéphanie Niederhauser, annule la votation! «Question jurassienne relancée»
Même si certains le redoutaient, personne au sein du mouvement autonomiste ne voulait vraiment croire à une telle issue. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Elles sont vives. «Ce n’est pas possible, c’est un gag? Tout cela est ridicule, bouillonne Pierre-André Comte, le secrétaire général du MAJ. Cette décision est le fruit de manoeuvres politiques bernoises menées sous l’oeil complaisant de la Confédération pour contester la volonté populaire des Prévôtois. Nous ne sommes plus dans un Etat de droit.»
Valentin Zuber, porte-parole de Moutier ville jurassienne, se montre encore plus dur: «Je ne parle pas de déception, mais de honte pour notre pays. La décision de la préfecture est une vengeance du gouvernement bernois. La Question jurassienne est relancée. Nous entrons de nouveau en lutte!»
Chez la poignée de militants présents, c’est le désarroi. «Et maintenant, que va-t-il se passer?» demande l’une d’entre eux aux nombreux journalistes présents.
Qu'une étape
A quelques centaines de mètres de là, à l’hôtel-restaurant du Cheval Blanc, le stamm des pro-Bernois, la satisfaction est au contraire de mise. L’ambiance demeure cependant calme et on préfère commenter le bon début des saisons des équipes bernoises en hockey sur glace. «Nous ne sommes pas du genre à aller nous pavaner avec un drapeau bernois dans les rues», relève Marc Tobler, figure du mouvement, en clin d’oeil aux autonomistes jurassiens qui avaient inondé la ville d’étendards rouge et blanc le jour du vote.
Le ton est tout aussi conciliant chez son fils, Patrick Tobler, président de l’UDC du Jura bernois, «par respect» pour la moitié des citoyens de la commune qui avaient voté oui au transfert de Moutier. Surtout, même s’ils sont soulagés que justice ait été rendue, les deux hommes savent également que le chemin est encore long. «Même si elle va dans le bon sens, la décision de la préfète n’est qu’une étape, il y aura certainement des recours au Tribunal administratif, puis au Tribunal fédéral, termine Marc Tobler. Au lendemain du scrutin, j’avais prédit que Moutier allait au-devant de dix ans de problèmes… J’ai peur d’avoir eu raison.»
Du côté des autorités de Moutier, on accuse le coup. Les mines sont graves dans les locaux de l’Hôtel de Ville, alors que la police bernoise patrouille devant le bâtiment. «C’est certain, on ne s’attendait pas à une telle décision, je suis attristé, atterré», soupire Pascal Eschmann, membre de l’exécutif et nouveau président du PDC jurassien, qui s’exprime à titre personnel. Le maire, Marcel Winistoerfer, peine à cacher son émotion: «Cette décision est une ignominie; j’insiste une ignominie.» L’élu balaie les critiques de la préfète, qui lui reproche d’avoir mené «une propagande non admissible». «Je n’ai fait que rectifier les mensonges distillés par le camp adverse.» Et l’élu d’accuser à son tour la préfète de vice de procédure: «Les cartons contenant le matériel de vote, mis sous scellés, ont été ouverts sans aucun procès-verbal.» Ambiance.
L’exécutif de Moutier ne sait pas encore quelle suite donner et promet une information pour la fin de la semaine. Mais il est fort à parier qu’un recours contre la décision de la préfète sera déposé auprès du Tribunal cantonal. Dans l’attente, les autonomistes vont appeler la population à une grande manifestation. «Berne avait tout en main pour clore un chapitre sombre de son histoire, conclut Marcel Winistoerfer. Et là, il a rouvert un nouveau chantier de la Question jurassienne.»
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