Riyad cloué au pilori pour l’affaire Khashoggi
L’Arabie saoudite a été soumise lundi à l’ONU à Genève à l’examen de son bilan en matière de droits humains. Plus de 40 Etats ont exhorté Riyad à faire toute la lumière sur le «meurtre prémédité» du journaliste saoudien
Elle a beau être membre du Conseil des droits de l’homme. Lundi matin, l’Arabie saoudite, qui a dépêché à l’ONU à Genève une délégation de 41 personnes issues de la Commission saoudienne des droits de l’homme et de nombreux ministères, a eu droit à une série de réprobations pour le meurtre «prémédité» du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Cet ex-chroniqueur du Washington Post a été tué le 2 octobre dernier au consulat saoudien d’Istanbul et démembré, à en croire les déclarations du parquet de la ville turque. Plus de 40 Etats sur les 97 ont pris la parole et exigé une enquête approfondie sur la mort de Khashoggi lors de l’Examen périodique universel auquel l’Arabie saoudite se soumet pour la troisième fois depuis 2006.
Corps introuvable
La tragédie de la mort du journaliste saoudien reste explosive et a jusqu’ici terni l’image de réformiste qu’a voulu se donner le prince héritier Mohammed ben Salmane. Le corps du journaliste reste introuvable. Selon le quotidien turc Daily Sabah, Riyad a dépêché un chimiste et un expert en toxicologie à Istanbul le 9 octobre dernier, neuf jours après la disparition de Jamal Khashoggi. Parmi les Etats les plus critiques, l’Islande et le Costa Rica ont demandé l’envoi d’experts internationaux pour faire toute la lumière sur l’affaire.
Président de la Commission saoudienne des droits de l’homme, Bandar al-Aiban a cherché à anticiper les critiques en déclarant d’emblée que «tous les auteurs» du meurtre de Khashoggi «seraient traduits en justice». Il a précisé que le Royaume wahhabite assumait sa responsabilité. Or depuis le 2 octobre, ce dernier a multiplié les versions, indiquant au départ que le journaliste avait quitté le consulat, puis qu’il avait été victime d’un interrogatoire qui avait mal tourné avant de reconnaître, par le biais de son procureur général Saud al-Mojeb, qu’il avait bien été la cible d’un meurtre prémédité.
L’affaire Khashoggi n’a pas été le seul objet de critiques. L’ambassadeur britannique Julian Braithwaite a manifesté sa «vive préoccupation par rapport à la détérioration de la situation des droits de l’homme» en Arabie saoudite. Quelques minutes plus tôt pourtant, Bandar al-Aiban a vanté la «vision 2030» défendue par Riyad pour faire du pays «un modèle international de pointe à tous les niveaux», notamment en matière de droits de l’homme, de droit à la vie, de droit à la sécurité et à la santé. Le haut responsable saoudien a mentionné de nombreux «accomplissements civilisationnels et humanitaires». Il a voulu dépeindre une société civile saoudienne vibrionnante, avec 1486 associations et 179 ONG.
Pour John Fisher, directeur du bureau genevois de Human Rights Watch, l’intervention saoudienne devant le Conseil des droits de l’homme a «montré une déconnexion totale entre l’image de carte postale que le royaume veut montrer au monde et la réalité des graves violations des droits de l’homme dont il se rend coupable. Il faut dire que les plus grands investissements de l’Arabie saoudite sont dans les relations publiques. Mais les Etats qui se sont exprimés lundi à Genève n’étaient pas dupes. L’affaire Khashoggi est symptomatique de la répression à l’interne orchestrée par un régime brutal.» L’Arabie saoudite tend à se cacher derrière la lutte contre le terrorisme pour criminaliser l’expression pacifique de certains actes, selon l’ONU.
Statut des femmes
Bandar al-Aiban a rappelé que la liberté d’opinion et d’expression était un «droit garanti», uniquement restreint par des questions de sécurité nationale, d’ordre public, de santé et de moralité et par le souci d’éviter la haine nationale, raciale et religieuse. Nombre d’Etats, surtout occidentaux, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme quant aux violations de la liberté d’expression. Si Riyad a levé l’interdiction de conduire pour les femmes en juin dernier, il n’en a pas moins interpellé de nombreuses femmes activistes. Selon Human Rights Watch, au moins 13 femmes activistes en vue ont été arrêtées et pour certaines accusées de graves crimes alors qu’elles manifestaient pacifiquement.
Le statut des femmes a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses recommandations à l’intention de Riyad. Plusieurs Etats dont la France appellent à l’abolition du système de tutelle masculine dénommé «mehrem», qui empêche bien souvent les victimes de violences familiales de les dénoncer. Les femmes, soulignent HRW, ont ainsi toujours besoin de l’approbation d’un homme (mari, père, frère, fils) pour obtenir un passeport, pour se marier, voyager ou même être libérées de prison.
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«L’affaire Khashoggi est symptomatique de la répression à l’interne orchestrée par un régime brutal» JOHN FISHER, DIRECTEUR DU BUREAU GENEVOIS DE HUMAN RIGHTS WATCH