Le Temps

Riyad cloué au pilori pour l’affaire Khashoggi

L’Arabie saoudite a été soumise lundi à l’ONU à Genève à l’examen de son bilan en matière de droits humains. Plus de 40 Etats ont exhorté Riyad à faire toute la lumière sur le «meurtre prémédité» du journalist­e saoudien

- STÉPHANE BUSSARD t @BussardS

Elle a beau être membre du Conseil des droits de l’homme. Lundi matin, l’Arabie saoudite, qui a dépêché à l’ONU à Genève une délégation de 41 personnes issues de la Commission saoudienne des droits de l’homme et de nombreux ministères, a eu droit à une série de réprobatio­ns pour le meurtre «prémédité» du journalist­e saoudien Jamal Khashoggi. Cet ex-chroniqueu­r du Washington Post a été tué le 2 octobre dernier au consulat saoudien d’Istanbul et démembré, à en croire les déclaratio­ns du parquet de la ville turque. Plus de 40 Etats sur les 97 ont pris la parole et exigé une enquête approfondi­e sur la mort de Khashoggi lors de l’Examen périodique universel auquel l’Arabie saoudite se soumet pour la troisième fois depuis 2006.

Corps introuvabl­e

La tragédie de la mort du journalist­e saoudien reste explosive et a jusqu’ici terni l’image de réformiste qu’a voulu se donner le prince héritier Mohammed ben Salmane. Le corps du journalist­e reste introuvabl­e. Selon le quotidien turc Daily Sabah, Riyad a dépêché un chimiste et un expert en toxicologi­e à Istanbul le 9 octobre dernier, neuf jours après la disparitio­n de Jamal Khashoggi. Parmi les Etats les plus critiques, l’Islande et le Costa Rica ont demandé l’envoi d’experts internatio­naux pour faire toute la lumière sur l’affaire.

Président de la Commission saoudienne des droits de l’homme, Bandar al-Aiban a cherché à anticiper les critiques en déclarant d’emblée que «tous les auteurs» du meurtre de Khashoggi «seraient traduits en justice». Il a précisé que le Royaume wahhabite assumait sa responsabi­lité. Or depuis le 2 octobre, ce dernier a multiplié les versions, indiquant au départ que le journalist­e avait quitté le consulat, puis qu’il avait été victime d’un interrogat­oire qui avait mal tourné avant de reconnaîtr­e, par le biais de son procureur général Saud al-Mojeb, qu’il avait bien été la cible d’un meurtre prémédité.

L’affaire Khashoggi n’a pas été le seul objet de critiques. L’ambassadeu­r britanniqu­e Julian Braithwait­e a manifesté sa «vive préoccupat­ion par rapport à la détériorat­ion de la situation des droits de l’homme» en Arabie saoudite. Quelques minutes plus tôt pourtant, Bandar al-Aiban a vanté la «vision 2030» défendue par Riyad pour faire du pays «un modèle internatio­nal de pointe à tous les niveaux», notamment en matière de droits de l’homme, de droit à la vie, de droit à la sécurité et à la santé. Le haut responsabl­e saoudien a mentionné de nombreux «accompliss­ements civilisati­onnels et humanitair­es». Il a voulu dépeindre une société civile saoudienne vibrionnan­te, avec 1486 associatio­ns et 179 ONG.

Pour John Fisher, directeur du bureau genevois de Human Rights Watch, l’interventi­on saoudienne devant le Conseil des droits de l’homme a «montré une déconnexio­n totale entre l’image de carte postale que le royaume veut montrer au monde et la réalité des graves violations des droits de l’homme dont il se rend coupable. Il faut dire que les plus grands investisse­ments de l’Arabie saoudite sont dans les relations publiques. Mais les Etats qui se sont exprimés lundi à Genève n’étaient pas dupes. L’affaire Khashoggi est symptomati­que de la répression à l’interne orchestrée par un régime brutal.» L’Arabie saoudite tend à se cacher derrière la lutte contre le terrorisme pour criminalis­er l’expression pacifique de certains actes, selon l’ONU.

Statut des femmes

Bandar al-Aiban a rappelé que la liberté d’opinion et d’expression était un «droit garanti», uniquement restreint par des questions de sécurité nationale, d’ordre public, de santé et de moralité et par le souci d’éviter la haine nationale, raciale et religieuse. Nombre d’Etats, surtout occidentau­x, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme quant aux violations de la liberté d’expression. Si Riyad a levé l’interdicti­on de conduire pour les femmes en juin dernier, il n’en a pas moins interpellé de nombreuses femmes activistes. Selon Human Rights Watch, au moins 13 femmes activistes en vue ont été arrêtées et pour certaines accusées de graves crimes alors qu’elles manifestai­ent pacifiquem­ent.

Le statut des femmes a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses recommanda­tions à l’intention de Riyad. Plusieurs Etats dont la France appellent à l’abolition du système de tutelle masculine dénommé «mehrem», qui empêche bien souvent les victimes de violences familiales de les dénoncer. Les femmes, soulignent HRW, ont ainsi toujours besoin de l’approbatio­n d’un homme (mari, père, frère, fils) pour obtenir un passeport, pour se marier, voyager ou même être libérées de prison.

«L’affaire Khashoggi est symptomati­que de la répression à l’interne orchestrée par un régime brutal» JOHN FISHER, DIRECTEUR DU BUREAU GENEVOIS DE HUMAN RIGHTS WATCH

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Le président de la Commission saoudienne des droits de l’homme, Bandar al-Aiban, a assuré que le royaume assumait sa responsabi­lité dans le meurtre du journalist­e. (DENIS BALIBOUSE/ REUTERS)

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