Primauté du droit international en temps troublés
Le contexte dans lequel se déroule le scrutin sur la primauté du droit international est particulièrement tendu. Placer le droit national au-dessus des traités, c'est chercher à affaiblir la politique extérieure en privant d'efficacité son principal instrument, qui est précisément la faculté de conclure des traités internationaux.
Ce débat n’est pas nouveau ni spécifique à la Suisse. La tentation existe aux Etats-Unis d'opposer la suprématie de la Constitution aux nouveaux engagements que prendrait le gouvernement: mais la Cour suprême ne l'a jamais admis, et les traités dûment ratifiés font partie de l'ordre constitutionnel américain.
Le vote du 25 novembre prochain s’inscrit dans un mouvement souverainiste, national-populiste général qui touche nombre de pays en Europe et outre-Atlantique, et acquiert de ce fait une signification qui dépasse son objet. Un traité est une manifestation de la volonté commune des parties de réaliser durablement un objectif défini dans des conditions optimales de fiabilité et d'efficacité, soumis par ailleurs aux procédures de ratification nationales qui s'exercent en toute souveraineté et indépendance. Les parties y ont chacune un intérêt qui les pousse à faire cause commune. Cette démarche est à la base de la vie internationale. Y mettre des obstacles pour la rendre plus difficile et plus incertaine, c'est restreindre une des fonctions essentielles de tout Etat sur le terrain diplomatique.
Un Etat ne peut pas se mouvoir seul dans le système international, pas plus qu’une commune ne peut exister en pleine autonomie sans tenir compte de la législation cantonale ou qu’un canton peut ignorer les lois fédérales qui encadrent son action. Il en va de même dans le domaine international: le droit international règle les principes de la vie entre Etats, de manière à résoudre les conflits qui pourraient surgir entre eux ou à les éviter. Il édicte aussi certaines normes de comportement (par exemple dans la navigation maritime ou aérienne).
Certes le droit international n’est pas aussi précis ni aussi riche d’expérience et de jurisprudence que le droit interne. Il ne mérite cependant ni d'être vilipendé ni d'être sacralisé, comme le relève le professeur Oliver Diggelmann. Il reflète l'évolution des relations internationales et donc des sociétés à travers les temps, depuis l'époque où les souverains formalisaient leur entente jusqu'aux guerres de religion et à la paix de Westphalie, qui a permis de codifier certaines règles générales. Reflet de son temps, le droit international a évolué sous l'effet notamment de la doctrine et de la pratique des Etats, notamment dans le droit de la guerre. Depuis le XIXe siècle, il a progressivement englobé la dimension des accords multilatéraux dont l'importance n'a cessé de croître. Le droit international ne possède pas de mécanisme de sanction aussi performant que ceux du droit interne. Il s'est doté de quelques tribunaux internationaux chargés de l'appliquer en général (Cour internationale de justice CIJ, liée au système des Nations unies) ou qui se concentrent sur un aspect particulier, dont la fameuse Cour européenne des droits de l'homme. L'influence des grandes puissances sur l'élaboration et la mise en oeuvre du droit international a été déterminante par le passé et continue à l'être. Mais ce dernier confère des droits égaux aux Etats petits et grands. Le Conseil de sécurité aurait dû exercer une fonction de régulateur du système, par exemple en sanctionnant les Etats qui ne tiendraient pas compte des arrêts de la CIJ. Mais la situation politique ne le permet pas.
Sans doute la construction du droit international n’est-elle pas achevée, et donc pas encore parfaite, mais tel qu'il est ce droit représente un code de conduite obligatoire dans les méandres toujours plus compliqués de la vie internationale. Il est un contrepoids à l'anarchie et à l'arbitraire. Le dénigrer, s'en abstraire, le dénoncer au profit de l'immanente justesse des votes populaires c'est isoler le pays. C'est un acte d'hostilité au multilatéralisme et à la coopération internationale, un autogoal.
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