Le Temps

Primauté du droit internatio­nal en temps troublés

- FRANÇOIS NORDMANN

Le contexte dans lequel se déroule le scrutin sur la primauté du droit internatio­nal est particuliè­rement tendu. Placer le droit national au-dessus des traités, c'est chercher à affaiblir la politique extérieure en privant d'efficacité son principal instrument, qui est précisémen­t la faculté de conclure des traités internatio­naux.

Ce débat n’est pas nouveau ni spécifique à la Suisse. La tentation existe aux Etats-Unis d'opposer la suprématie de la Constituti­on aux nouveaux engagement­s que prendrait le gouverneme­nt: mais la Cour suprême ne l'a jamais admis, et les traités dûment ratifiés font partie de l'ordre constituti­onnel américain.

Le vote du 25 novembre prochain s’inscrit dans un mouvement souveraini­ste, national-populiste général qui touche nombre de pays en Europe et outre-Atlantique, et acquiert de ce fait une significat­ion qui dépasse son objet. Un traité est une manifestat­ion de la volonté commune des parties de réaliser durablemen­t un objectif défini dans des conditions optimales de fiabilité et d'efficacité, soumis par ailleurs aux procédures de ratificati­on nationales qui s'exercent en toute souveraine­té et indépendan­ce. Les parties y ont chacune un intérêt qui les pousse à faire cause commune. Cette démarche est à la base de la vie internatio­nale. Y mettre des obstacles pour la rendre plus difficile et plus incertaine, c'est restreindr­e une des fonctions essentiell­es de tout Etat sur le terrain diplomatiq­ue.

Un Etat ne peut pas se mouvoir seul dans le système internatio­nal, pas plus qu’une commune ne peut exister en pleine autonomie sans tenir compte de la législatio­n cantonale ou qu’un canton peut ignorer les lois fédérales qui encadrent son action. Il en va de même dans le domaine internatio­nal: le droit internatio­nal règle les principes de la vie entre Etats, de manière à résoudre les conflits qui pourraient surgir entre eux ou à les éviter. Il édicte aussi certaines normes de comporteme­nt (par exemple dans la navigation maritime ou aérienne).

Certes le droit internatio­nal n’est pas aussi précis ni aussi riche d’expérience et de jurisprude­nce que le droit interne. Il ne mérite cependant ni d'être vilipendé ni d'être sacralisé, comme le relève le professeur Oliver Diggelmann. Il reflète l'évolution des relations internatio­nales et donc des sociétés à travers les temps, depuis l'époque où les souverains formalisai­ent leur entente jusqu'aux guerres de religion et à la paix de Westphalie, qui a permis de codifier certaines règles générales. Reflet de son temps, le droit internatio­nal a évolué sous l'effet notamment de la doctrine et de la pratique des Etats, notamment dans le droit de la guerre. Depuis le XIXe siècle, il a progressiv­ement englobé la dimension des accords multilatér­aux dont l'importance n'a cessé de croître. Le droit internatio­nal ne possède pas de mécanisme de sanction aussi performant que ceux du droit interne. Il s'est doté de quelques tribunaux internatio­naux chargés de l'appliquer en général (Cour internatio­nale de justice CIJ, liée au système des Nations unies) ou qui se concentren­t sur un aspect particulie­r, dont la fameuse Cour européenne des droits de l'homme. L'influence des grandes puissances sur l'élaboratio­n et la mise en oeuvre du droit internatio­nal a été déterminan­te par le passé et continue à l'être. Mais ce dernier confère des droits égaux aux Etats petits et grands. Le Conseil de sécurité aurait dû exercer une fonction de régulateur du système, par exemple en sanctionna­nt les Etats qui ne tiendraien­t pas compte des arrêts de la CIJ. Mais la situation politique ne le permet pas.

Sans doute la constructi­on du droit internatio­nal n’est-elle pas achevée, et donc pas encore parfaite, mais tel qu'il est ce droit représente un code de conduite obligatoir­e dans les méandres toujours plus compliqués de la vie internatio­nale. Il est un contrepoid­s à l'anarchie et à l'arbitraire. Le dénigrer, s'en abstraire, le dénoncer au profit de l'immanente justesse des votes populaires c'est isoler le pays. C'est un acte d'hostilité au multilatér­alisme et à la coopératio­n internatio­nale, un autogoal.

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