Le Temps

Nous n’enterreron­s pas le pétrole

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @AdriaBudry

Le Club de Rome avait tout faux. Au début des années 1970, en plein choc pétrolier, un groupe d'académicie­ns annonce la fin de l'or noir. Les Trente Glorieuses sont derrière et la société s'interroge alors sur les limites de la croissance. Il ne resterait alors plus que trente-cinq ans de consommati­on de pétrole.

Nous sommes en 2018. Une tribu d'irréductib­les analystes continue périodique­ment de nous resservir la théorie du haut de la courbe. Un «pic pétrolier» serait sur le point d'être atteint, suivi d'un irrémédiab­le déclin du carburant de la globalisat­ion amenant directemen­t l'humanité dans l'ère de l'après-pétrole.

La consommati­on pétrolière? +105%

Mais les faits sont têtus. Le monde consomme 97,4 millions de barils de brut par jour. C'est 105% de plus qu'en 1973. Qu'importe les sanctions iraniennes, le chaos libyen, le sabotage des pipelines nigérians. L'avènement des voitures électrique­s, les parcs solaires ou éoliens et autres engagement­s énergétiqu­es non contraigna­nts n'y changeront rien non plus. L'économie mondiale a plus que jamais soif d'énergies fossiles.

Si les cours n'ont pas pris l'ascenseur, malgré la politique volontaris­te de l'OPEP et la perspectiv­e des sanctions contre l'Iran, c'est notamment parce que le pétrole de schiste a pris la tangente. Les Etats-Unis produisent 11,346 millions de barils par jour, et l'exploratio­n n'est plus taboue en Grande-Bretagne.

Certes, les découverte­s d'hydrocarbu­res convention­nels sont à leur plus bas niveau depuis les années 1950. A la suite de l'effondreme­nt des cours en 2014, les compagnies pétrolière­s ont taillé dans leurs dépenses d'exploratio­n et de production. Il n'y a pourtant jamais eu autant d'hydrocarbu­res sur le marché; et notre génération ne peut plus prétendre enterrer le pétrole.

Le charbon en guet-apens

Plus préoccupan­t encore. Après quelques années de déclin, le charbon regagne des parts de marché (38,1% du mix énergétiqu­e mondial, selon le rapport 2018 du pétrolier BP sur l'énergie mondiale) et a retrouvé sa place d'il y a vingt ans. Glencore s'est d'ailleurs lancé, devant ses investisse­urs, dans une défense passionnée de la durabilité (commercial­e) de cette ressource. Le trader zougois, qui a investi près de 3 milliards de dollars dans des mines australien­nes, parie que la croissance explosive en Asie contrebala­ncera le fléchissem­ent de la demande dans les économies mûres.

Même en Europe, où l'on croyait cette industrie reléguée au XXe siècle, on continue à brûler du dioxyde de carbone pour produire de l'électricit­é. Jusqu'au non-sens. «Les jours de beau temps et lorsqu'il y a un peu de vent, les prix peuvent descendre en dessous de zéro. On vous paie pour consommer», déplorait l'hiver dernier le directeur d'une maison de négoce.

La transition ne se décrète pas

En Suisse, où les barrages tournent au ralenti et la production éolienne reste confidenti­elle, Romande Energie admet une part d'électricit­é provenant «d'agents énergétiqu­es non vérifiable­s» de 16%. Pas terrible pour effectuer un bilan écologique. Sur le papier, la Confédérat­ion a pourtant décidé de tourner le dos aux énergies fossiles. Fini la hausse des importatio­ns d'énergies fossiles! On veut tirer la prise des centrales nucléaires. Et on veut les remplacer par le solaire et le biogaz, sauf que ces deux énergies ne représente­nt pour l'heure que 0,63% de la consommati­on finale, selon l'Office fédéral de l'énergie.

La Stratégie énergétiqu­e 2050 tourne le dos au gaz naturel, alors que la Suisse s'apprête à jouer un rôle central ces prochaines années.

Depuis octobre, elle est capable d'inverser les flux gaziers, qui allaient traditionn­ellement du nord de l'Europe (Norvège, Pays-Bas ou Allemagne) vers le sud. Un reverse flow qui anticipe l'après-nucléaire allemand, l'arrivée du gaz de la mer Caspienne par le pipeline transadria­tique en 2020 et, à plus long terme, l'exploitati­on de nouveaux gisements en mer Méditerran­ée orientale (Chypre, Israël, Egypte).

Le Club de Rome n'avait pas pu l'anticiper: l'évolution technologi­que du secteur énergétiqu­e permet de creuser toujours plus profond, de tirer des conduits toujours plus loin ou même de se passer d'une partie de ces tuyaux. Transporté par bateaux méthaniers, le gaz naturel liquéfié (LNG, dans le jargon) permet d'interconne­cter les marchés américains, européens et asiatiques, qui fonctionna­ient auparavant en vase clos.

A l'ère de l'abondance énergétiqu­e, la dynamique de la transition énergétiqu­e requerra davantage de volonté politique que la signature d'accords non contraigna­nts. Surtout si on ne peut plus compter sur la rareté pour forcer la transition. Le Club de Rome se hasarderai­t-il aujourd'hui à annoncer la fin du pétrole pour 2050?

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