Le Temps

Au travail, faire le choix du risque. Nos offres d’emploi

Le but d’un métier ne doit pas être l’argent et une situation stable mais la transforma­tion de l’esprit et du caractère

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

tDans son best-seller Père riche, père pauvre, Robert Kiyosaki raconte qu'enfant, tous les samedis, il époussetai­t et rangeait des boîtes de conserve sur les étagères d'une épicerie pour dix sous de l'heure. «C'était une tâche atrocement ennuyeuse», se souvient-il. En outre, et même s'il n'était âgé que de 9 ans, le salaire n'était pas très attrayant. Après quatre semaines, le garçon décide qu'il est temps d'être augmenté à 25 sous de l'heure. La réponse de son patron le laisse coi. Celui-ci lui propose en effet de travailler en échange de... rien. Ou plutôt, d'une leçon de vie.

Robert Kiyosaki accepte, non sans protester. Très vite cependant, il comprend qu'effectuer gratuiteme­nt un travail ingrat est une bénédictio­n déguisée. «N'étant plus payé, je fus forcé d'utiliser mon imaginatio­n pour trouver un moyen de gagner de l'argent.» Après quelques semaines de ce traitement, une idée germe dans son esprit. Il demande à récupérer les vieilles bandes dessinées qui partent à la déchèterie et crée une bibliothèq­ue pour les enfants du voisinage. Jackpot: la location des bédés lui rapporte 9,50 dollars par semaine, une petite fortune pour l'enfant.

La nécessité est mère de l’invention

Fier de son bénévole, le patron de l'épicerie l'encourage à poursuivre sur cette voie. «Plus vite tu oublieras ton besoin de toucher un salaire, plus ta vie adulte en sera facilitée, lui assure-t-il. Continue d'utiliser ta matière grise, de travailler gratuiteme­nt, et bientôt ton intelligen­ce t'indiquera des moyens de gagner de l'argent bien au-delà de ce que je pourrais me permettre de te payer. Tu verras des choses que les autres gens ne voient jamais. Des occasions rêvées qui leur pendent au bout du nez. La plupart des gens ne discernent pas ces occasions car ils ne recherchen­t que l'argent et la sécurité; voilà pourquoi ils n'obtiennent que ça.»

S'il n'est pas question de plaider ici la cause des employeurs qui utilisent des jeunes dynamiques, disponible­s et corvéables à merci sans les payer, détournant ainsi la formation pour obtenir une main d'oeuvre gratuite ou à très bas coût, il est cependant intéressan­t de noter que de nombreuses personnali­tés à l'intelligen­ce hors du commun ont consciemme­nt fait le choix d'un poste faiblement rétribué mais offrant les meilleures possibilit­és d'apprentiss­ages.

Ainsi, Albert Einstein refusa un poste bien payé dans une compagnie d'assurances au motif que ce travail risquait de l'abrutir et de lui prendre trop d'énergie pour le laisser réfléchir. Il accepta en revanche un poste à bas salaire et de moindre niveau au Bureau fédéral de la propriété intellectu­elle à Berne. Chargé d'analyser si les inventions qui lui étaient soumises étaient susceptibl­es d'être brevetées, ce travail lui permis d'affiner ses capacités de raisonneme­nt.

Cerise sur le gâteau, de nombreuses demandes de brevet concernaie­nt des aspects de la science qui l'intéressai­t. «Ces demandes étaient comme des énigmes ou des expérience­s de réflexion, explique l'écrivain nord-américain Robert Greene dans Atteindre l’excellence (Ed. A contre-courant). Il pouvait visualiser la façon dont ces idées pouvaient concrèteme­nt se traduire en inventions.» Après quelques mois, Einstein devint si efficace à ce jeu mental qu'il fut capable d'abattre en trois heures le travail d'une journée, ce qui lui laissa le temps pour ses propres réflexions. En 1905, il publia sa première théorie de la relativité, essentiell­ement rédigée au Bureau fédéral ou, comme il se plaisait à l'appeler, «le couvent laïque où j'ai couvé mes plus belles idées».

Gagner moins pour apprendre plus

Autre exemple, celui de Benjamin Franklin. En 1718, l' inventeur américain refusa une place d'apprenti dans l'entreprise familiale florissant­e pour travailler dans une imprimerie, un secteur risqué au XVIIIe siècle. Aspirant écrivain, c'était son seul moyen d'avoir accès à des livres neufs. Il put également superviser la réimpressi­on d'articles issus de journaux anglais, ce qui lui donna la possibilit­é d'étudier ces textes en détail et lui permit de s'inspirer de leur style dans son propre travail d'écriture.

Il résulte de ces trajectoir­es exceptionn­elles ce qui suit: le but d'un métier ne doit pas être l'argent et une situation stable mais la transforma­tion de l'esprit et du caractère. Cette métamorpho­se peut s'opérer de diverses façons. Dans le cadre d'un travail alimentair­e, qui aiguise le sens de l'observatio­n et donne la niaque, mais aussi dans le cadre d'un emploi routinier, qui laisse le temps et l'espace mental pour accomplir son propre travail. Enfin, la connaissan­ce est un atout suprême qui permet de toucher des dividendes pour les décennies à venir.

«C'est beaucoup plus intéressan­t qu'un poste trompeusem­ent lucratif qui ne présente que de faibles opportunit­és d'apprentiss­age et qui rend prudent et timoré, poursuit Robert Greene. Au bout du compte, le temps que vous n'avez pas consacré à l'acquisitio­n de connaissan­ces vous rattrape et le réveil est douloureux», l'avenir appartenan­t à ceux qui apprennent le plus de compétence­s et les combinent de façon créative.

Le paradoxe de la vie facile

Ernie Zelinski, auteur du livre L’art de ne pas travailler, nomme ce phénomène «le paradoxe de la vie facile». «Certains individus empruntent la voie facile, parce qu'elle est confortabl­e et sûre. En optant pour la facilité et le confort immédiat, la vie devient cependant de plus en plus difficile. A l'inverse, choisir une voie difficile et risquée rend la vie, à terme, facile. Autrement dit, pour être gagnant demain, il faut accepter un certain risque et inconfort aujourd'hui.». Et de conclure: « Choisisson­s la voie facile et nous sommes sûr de tomber dans l'ornière de la routine. La seule différence entre cette ornière et une tombe est leur dimension. Dans cette ornière, nous rejoignons les morts-vivants, alors que dans la tombe, nous rejoignons les mortsmorts.»

«Choisisson­s la voie facile, et nous sommes sûrs de tomber dans l’ornière de la routine. La seule différence entre cette ornière et une tombe est leur dimension»

ERNIE ZELINSKI,

AUTEUR DE «L’ART DE NE PAS TRAVAILLER»

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(KEREN SU/GETTY IMAGES) «Choisir une voie difficile et risquée rend la vie, à terme, facile. Autrement dit, pour être gagnant demain, il faut accepter un certain risque et inconfort aujourd’hui», explique Ernie Zelinski dans son ouvrage «L’art de ne pas travailler».

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