L’engagement de la finance en faveur de la planète est irréversible
Il est possible de conjuguer croissance durable et sauvegarde de la planète. Cette affirmation volontariste a valu à William Nordhaus et Paul Romer le Prix Nobel d’économie 2018. Appliqué à la finance, leur postulat se résumerait ainsi: la génération de performance peut réellement s’accompagner d’un impact positif sur le plan social et/ou environnemental.
Le champ de l’investissement durable et socialement responsable a commencé à être défriché il y a une trentaine d’années. Mais son essor a été contrarié par ses faiblesses originelles: définitions imparfaites, critères d’évaluation contestables, discrédit lié au greenwashing pratiqué par certaines sociétés, et performances parfois décevantes.
Sans aller jusqu’à affirmer que ces travers ont tous été corrigés, il faut reconnaître que le secteur a tiré des leçons de ses erreurs en gagnant en maturité. A mesure que la recherche académique lui apportait sa caution, les concepts se sont précisés et les mesures d’impact sont devenues plus rigoureuses, même si des améliorations sont encore souhaitables. Ce qui n’était hier encore qu’une activité d’investissement de niche, voire un moyen de se donner bonne conscience, occupe désormais une place légitime et appelée à croître dans les portefeuilles. Pour preuve, toutes les universités sérieuses proposent aujourd’hui un programme de master en finance, développement ou gestion durable. Et les banques sont toujours plus nombreuses à étoffer leur gamme de solutions d’investissement durables ou responsables.
Publier ses données climatiques
Les acteurs financiers ont d’autant plus intérêt à renforcer la crédibilité et l’efficacité de leur offre en investissement responsable que leurs clients en font la demande, en particulier la génération des millennials. Ainsi, selon un récent sondage d’UBS en Suisse, 88% des investisseurs désirent prendre des décisions d’investissement reflétant leurs valeurs personnelles. Une bonne manière de faire évoluer les consciences dans l’industrie est d’avancer main dans la main avec ses pairs, mais aussi avec des organisations publiques et le monde universitaire, à l’image du partenariat autour du Cambridge Institute for Sustainability Leadership.
A l’heure où les défis environnementaux et sociaux font l’objet d’une prise de conscience généralisée, le mouvement ne s’interrompra plus. Signe des temps, l’on observe un nombre croissant de partisans de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), créée par le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board) de Bâle pour encourager la publication de statistiques liées au risque climatique en parallèle des bilans comptables.
«La publication de données climatiques est en train de s’imposer comme la norme, soulignait en septembre Mark Carney, président du Conseil de stabilité financière et gouverneur de la Banque d’Angleterre. Plus de 500 sociétés soutiennent aujourd’hui la TCFD, dont les leaders mondiaux dans le domaine de la banque, de la gestion d’actifs et des fonds de pension, gérant ensemble près de 100000 milliards de dollars.»
De son côté, le PDG de BlackRock, Larry Fink, le gestionnaire d’actifs le plus puissant de la planète avec plus de 6000 milliards de dollars d’encours, a adressé en début d’année une lettre à des centaines de dirigeants d’entreprise. Il les enjoignait de démontrer, en plus de leur performance financière, leur capacité à exercer un impact positif sur la société et l’environnement. Seule une entreprise engagée sur le long terme peut atteindre son plein potentiel, précisait-il, en menaçant entre les lignes de retirer les investissements de BlackRock dans les sociétés centrées sur la seule satisfaction de leurs actionnaires à court terme. Ce leader mondial de la gestion passive prévoit par ailleurs que les encours investis dans les Exchange Traded Funds (ETF) durables passeront de 25 milliards de dollars aujourd’hui, soit 3% du volume total des ETF, à 400 milliards d’ici à 2028, soit près de 25%.
Pallier l’inertie des gouvernements face à l’urgence, c’est finalement le rôle que la finance peut endosser en arbitrant entre les «bonnes» et les «mauvaises» sociétés. De fait, celles dont les activités alimentent les dérèglements climatiques et les déséquilibres sociaux sont inexorablement vouées à la désaffection des investisseurs. Les fonds de pension, les assureurs et les villes (comme New York) tendent de plus en plus à se désengager de ces sociétés. Le fonds souverain de la Norvège s’est ainsi déjà détourné du charbon, et l’Irlande a décidé cet été de liquider ses placements dans les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon, tourbe).
Pallier l’inertie des gouvernements face à l’urgence, c’est finalement le rôle que la finance peut endosser en arbitrant entre les «bonnes» et les «mauvaises» sociétés
Si les motivations éthiques servent de catalyseurs à ces décisions, elles sont aussi parfaitement rationnelles sur le plan économique. Les sociétés impliquées sont les mieux placées pour attirer les flux d’investissement, bénéficier d’une croissance soutenue à long terme, et donc surperformer le marché. Tel est le pari de l’impact investing, l’un des segments les plus prometteurs de la gestion responsable. Il consiste en effet à identifier les sociétés – souvent les plus innovantes de leur secteur – qui ont un impact positif et offrent des perspectives de rendement attractives. En accordant autant d’importance à la mesure de l’impact social et environnemental qu’à celle de la performance financière, l’impact investing prouve donc qu’il est possible de concilier les deux, et il s’agit là d’un enjeu majeur car il en va de l’avenir de la planète.
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