Le Temps

Vera Weber, au nom du père et de la terre

VERA WEBER Elle dirige depuis 2014 la Fondation Franz Weber. Autant que son père, elle appelle au respect de l’animal et de la nature

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5 (BÉATRICE DEVÈNES POUR LE TEMPS) t

«Mon père était très médiatisé, controvers­é, diffamé. Pour certains parents, j’étais la gamine à ne surtout pas fréquenter»

Sur une table, cette caricature (très réussie) de son père en train d’observer dans une boule à neige des avions de chasse rasant le Cervin. Hommage d’un bédéiste qui s’est souvenu qu’en 2008 Franz Weber avait lancé une initiative contre le bruit des zincs militaires. Vera Weber nous donne de ses nouvelles: «Il a 91 ans, il vit dans un home pour personnes âgées, il a perdu la mémoire mais il est en paix avec lui-même et c’est le plus beau cadeau.»

Elle a donné rendez-vous à Mühlenplat­z à Berne, sur les rives de l’Aar. Si le siège de la Fondation Franz Weber (FFW) est à Clarens, tout près de Montreux, un autre bureau a été ouvert dans la capitale «parce que c’est centralisé». Elle-même habite dans la ville fédérale, y travaille avec plusieurs collaborat­eurs. La fondation salarie en tout 13 personnes, fait appel aussi à des free-lances à l’étranger.

Poisson-lune et cheval éboueur

Vera Weber nous parle vite de l’un des combats actuels de la fondation: l’océanarium qui devrait ouvrir ses portes à Bâle en 2024, projet approuvé par le Grand Conseil de Bâle-Ville. Philosophi­e du site: faire découvrir aux visiteurs la vie des océans et les sensibilis­er aux questions environnem­entales. Un concept totalement dépassé selon la FFW, qui a lancé un référendum contre cette exhibition de poissons en captivité: «Sur quelque 2300 espèces de poissons coralliens, 25 se reproduise­nt en captivité, explique la présidente. Jusqu’à 80% meurent lors de la capture, du stockage et du transport. Observez par exemple le poisson-lune dans un aquarium, sa peau est craquelée, pleine d’enflures, rien à voir avec le même quand il est en milieu naturel.»

Autre engagement: la problémati­que des chevaux éboueurs en Amérique du Sud. Bêtes de somme qui s’échinent en ville à pousser des charrettes chargées de déchets. Elle raconte: «Les gens trient le métal, le bois, le verre, le papier et contre quelques sous livrent ça à des usines de recyclage. Les chevaux n’ont pas assez à manger et à boire, leurs sabots sont dans un sale état, ils se retrouvent en plein trafic et sont souvent heurtés par des voitures.» La FFW a ouvert dans le centre de l’Argentine un sanctuaire pour leur apporter des soins «et une vie dans la paix et la dignité». «Rien que dans ce pays, il y a 70000 chevaux éboueurs», avance Vera Weber. Les animaux sont remplacés par de petits véhicules motorisés pour ne pas priver les familles pauvres de ce pécule. Sur place, Leonardo Anselmi, le représenta­nt de la FFW, gère le programme, le même homme qui mena avec succès en 2010 la campagne pour l’abolition de la corrida en Catalogne. «Une de nos grandes victoires», sourit la fille de Franz Weber.

C’est en 2014 qu’elle a succédé à son père à la tête de la fondation. Mais dès 1999, elle était à ses côtés «parce que j’ai ressenti une urgence à apprendre avec lui». Vera venait pourtant d’être diplômée d’une école hôtelière «mais ce n’était pas assez pour moi, j’avais envie de changer le monde». Comme Franz: s’indigner et alerter pour corriger certaines erreurs humaines. Elle est moins dans le coup d’éclat que lui, plus dans le dialogue, mais tout aussi résolue. Pourtant, elle avait bien tenté de couper le cordon ombilical, son enfance n’ayant pas été des plus simples. «J’étais la fille unique d’un couple très actif. Ma mère était le bras droit de mon père, elle a eu autant de mérite que lui. Ils avaient donc peu de temps à me consacrer, on ne partait presque jamais en vacances», confie-t-elle. Une proche de la famille s’occupe d’elle «comme une mamie».

Peu d’ami(e)s à l’école parce que le nom de Weber était lourd à porter: «Mon père était très média- tisé, controvers­é, diffamé. Pour certains parents, j’étais la gamine à ne surtout pas fréquenter.» Sa vie change lorsqu’en 1983 son père sauve, grâce à une collecte nationale, le Grandhôtel historique Giessbach dans l’Oberland bernois, qui est à l’abandon et doit être rasé. Franz Weber crée la Fondation Giessbach au peuple suisse pour restaurer le monumental édifice. Elle se souvient: «J’y passais tous mes week-ends, j’avais la forêt pour moi. Je m’occupais en aidant les employés, j’aidais au repassage dans la lingerie, je décorais avec des fleurs. Un jour, il y a eu une épidémie de varicelle qui a cloué au lit une partie du personnel. J’étais immunisée alors j’ai travaillé à plein temps.» Elle a 15 ans, rejoint ensuite un internat en Allemagne pour apprendre la langue et se sociabilis­er auprès d’autres ados. Puis ce sera Lucerne pendant cinq ans et un brevet fédéral en hôtellerie.

Le choix de ne pas être mère

Depuis, la vie va vite. Peu de temps libre, un agenda bien rempli. Au point qu’elle a décidé de ne pas être mère pour ne pas infliger à un enfant ses tourments de petite fille. Un de ses grands faits de «guerre» fut le vote de son initiative visant à limiter les résidences secondaire­s. Les abus et les contournem­ents demeurent cependant nombreux. Vera Weber a pour charge avec l’associatio­n Helvetia Nostra, fondée elle aussi par son père, de déposer des recours contre des permis de construire dans les communes où ce type d’habitat dépasse les 20% des logements totaux. Illustrati­on en janvier dernier où le Tribunal fédéral a annulé les permis accordés par la commune de Bagnes pour la constructi­on de deux chalets luxueux à Verbier, du fait qu’il était peu vraisembla­ble que ceux-ci soient affectés à une résidence principale.

Franz Weber a lancé en 1977 avec Brigitte Bardot une campagne pour que cesse la chasse aux bébés phoques sur la banquise canadienne. Sa fille dénonce aujourd’hui l’abattage de quelque 30000 éléphants chaque année et veut interdire tout commerce de l’ivoire. «Ces sept dernières années, l’Afrique a perdu 30% de sa population d’éléphants», indique-t-elle. Vera Weber, qui est végétarien­ne depuis l’âge de 19 ans, condamne le caillassag­e des boucheries par certaines mouvances antispécis­tes. Elle résume ainsi sa position vis-à-vis de ce mouvement: «On ne donne pas du tofu à manger au lion qu’on a sauvé du cirque.»

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