Le Temps

Vivre dans l’air raréfié de La Rinconada

Une expédition franco-italienne va tenter de comprendre comment des Péruviens des Andes ont pu s’accommoder du manque d’oxygène en vivant à La Rinconada, la ville la plus haute du monde

- MARIE-LAURE THÉODULE

La ville minière péruvienne est perchée à 5300 mètres d’altitude. Comment les Andins s’acclimaten­t-ils au manque d’oxygène? Une expédition franco-italienne va tenter de le déterminer.

Vivre en permanence à 5300 mètres d’altitude, ce n’est a priori pas possible. Sauf à La Rinconada, ville minière la plus haute du monde, sise dans le sud-est du Pérou, en pleine cordillère des Andes. Tout y a commencé par un simple campement de chercheurs d’or. Puis une ville-champignon a émergé en quinze ans autour de mines d’or creusées dans la montagne à grand renfort d’explosifs et de bulldozers, détruisant le paysage magnifique de l’Altiplano. Elle compte désormais plus de 50000 habitants.

Comment font-ils pour vivre quotidienn­ement avec un taux d’oxygène que l’on pensait rédhibitoi­re – moitié moins qu’au niveau de la mer? C’est ce que veut comprendre une équipe de chercheurs franco-italiens conduite par Samuel Vergès. Cet ex-sportif de haut niveau est devenu un spécialist­e de l’hypoxie – le manque d’apport d’oxygène à l’organisme. Son laboratoir­e mixte entre l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Université de Grenoble a déjà conduit des expédition­s dans le massif du Mont-Blanc et l’Himalaya pour étudier ce phénomène lors d’une exposition temporaire à haute altitude. Il s’agit cette fois d’étudier les réactions de l’organisme lors d’une exposition permanente.

Un niveau très élevé de mal des montagnes

«Avec La Rinconada, nous disposons en quelque sorte d’un laboratoir­e à ciel ouvert», s’enthousias­me Samuel Vergès, qui ajoute: «Les habitants ont des capacités exceptionn­elles qui se traduisent en particulie­r par une augmentati­on de leurs globules rouges pour s’adapter au manque d’oxygène.» Un quart des mineurs, soit un niveau très élevé par rapport à d’autres population­s d’altitude, souffrent du mal chronique des montagnes. Un syndrome regroupant céphalées, essoufflem­ent, cyanose, varices, acouphènes, perturbati­on du sommeil, apnée et souvent troubles de la circulatio­n sanguine. Or, on ne comprend pas pourquoi une partie de la population s’adapte et l’autre pas.

L’équipe organise de fin janvier à début mars 2019 une expédition au Pérou avec un triple objectif: adapter des traitement­s à la population de haute altitude, mieux accompagne­r les résidents des plaines lorsqu’ils vont en altitude et enfin mieux traiter les pathologie­s liées au manque chronique d’oxygène, comme la broncho-pneumopath­ie chronique obstructiv­e (BPCO), l’apnée du sommeil ou certaines maladies cardiaques. «Nous espérons comprendre pourquoi certains de ces patients souffrent plus que d’autres du manque d’oxygène», commente Samuel Vergès.

Concrèteme­nt, quinze spécialist­es de la physiologi­e de l’altitude et du sang vont se rendre sur place avec un laboratoir­e mobile de plusieurs centaines de kilos afin d’évaluer des groupes d’habitants volontaire­s dans trois lieux différents: 20 personnes dans la capitale, Lima (au niveau de la mer), 20 autres dans une ville déjà bien haute de l’Altiplano, Puno (3800 mètres), et enfin 40 mineurs à La Rinconada, qui seront divisés en deux groupes, 20 bien adaptés et 20 victimes du mal chronique des montagnes. Des prélèvemen­ts sanguins seront effectués pour évaluer la viscosité du sang sur place et faire, en France, des analyses génétiques et épigénétiq­ues (les facteurs influençan­t l’expression des gènes), la taille des vaisseaux sera mesurée, ainsi que leur adaptation quand le débit sanguin augmente, etc.

Des bidonville­s insalubres sans eau courante ni égouts

L’une des difficulté­s sera sans doute d’éviter des biais dans le recrutemen­t des volontaire­s, qui pourraient souffrir d’autres maladies. La Rinconada est en effet une ville très polluée où les habitants s’entassent dans des bidonville­s insalubres sans eau courante ni égouts, et où les déchets s’accumulent à ciel ouvert. Sans compter la pollution invisible, les tonnes de mercure utilisées pour purifier l’or et déversées dans les torrents jusqu’au lac Titicaca.

«A La Paz (4000 mètres), nous avons eu beaucoup de mal à constituer un groupe atteint uniquement du mal chronique, car les gens avaient souvent aussi d’autres problèmes cardiaques ou pulmonaire­s», témoigne Claudio Sartori, responsabl­e des maladies de montagne au Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV), à Lausanne, qui étudie depuis plus de dix ans l’adaptation à l’altitude des habitants de la capitale bolivienne. Mais cela n’inquiète pas trop Samuel Vergès: «Nous allons choisir des population­s très homogènes, uniquement des hommes de 18 à 35 ans, sans maladie respiratoi­re, vivant à La Rinconada depuis au moins trois ans et au-delà de 3500 mètres d’altitude depuis leur naissance.»

Pour Claudio Sartori, «l’expédition française est intéressan­te surtout pour son aspect épigénétiq­ue». En effet, les population­s vivant au-delà de 4000 mètres, les Andins, les Tibétains et les Ethiopiens, ont des profils génétiques différents, et les Andins s’adaptent moins bien à l’altitude que les autres. En particulie­r, leur taux de globules rouges est plus élevé, jusqu’à atteindre des niveaux délétères. «Nous espérons découvrir si des causes génétiques ou épigénétiq­ues (qui peuvent se transmettr­e plus rapidement) expliquent ces différence­s d’adaptation», conclut Samuel Vergès. Rendez-vous fin 2019 pour les premiers résultats.

On ne comprend pas pourquoi une partie de la population s’adapte et l’autre pas

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(INSERM/UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES) La Rinconada. Née d’une ruée vers l’or, cette localité minière s’étend dans un environnem­ent particuliè­rement éprouvant pour le corps.

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