Christophe Colomb déboulonné
La ville de Los Angeles a retiré une statue du navigateur génois, accusé par certains de génocide. La presse espagnole défend cette figure de la conquête de l’Amérique
Aux Etats-Unis, Christophe Colomb est un colosse aux pieds d’argile. Son image d’explorateur héroïque est écornée: il est accusé par certains d’avoir décimé la population indigène. La municipalité de Los Angeles a déboulonné samedi dernier une statue du navigateur. Gilets orange sur le dos, des employés de la ville ont retiré l’ouvrage d’un parc de la ville californienne. L’opération a attiré une centaine de curieux, dont des descendants d’Amérindiens qui criaient de joie et tapaient sur des tambours. Après plusieurs périples sur des mers tumultueuses, l’illustre marin a découvert les joies d’un déplacement à l’arrière d’un camion.
La scène a été immortalisée par le démocrate Mitch O’Farrell. Le conseiller de la ville a publié une vidéo sur Twitter, avec une série de commentaires sur cette évacuation soutenue par le comté de Los Angeles: «Il s’agit d’une étape naturelle vers l’élimination de la fausse histoire selon laquelle Christophe Colomb a découvert l’Amérique. Il a été personnellement responsable d’atrocités et ses actions ont déclenché le plus grand génocide de l’histoire. Son image ne devrait être célébrée nulle part.»
Le marin génois a traversé l’Atlantique pour le compte du roi d’Espagne en 1492. Alors forcément les médias espagnols couvrent l’événement. La principale agence de presse du pays, EFE, s’est empressée de demander les images au responsable politique américain. Le grand quotidien El País ne comprend pas cette obsession du «village de la Reine des Anges». Et pour cause, l’explorateur était mort depuis 275 ans quand Los Angeles a été fondée. Le journal a également fait appel à des historiens: peut-on qualifier Christophe Colomb de génocidaire?
La majorité des chercheurs interrogés réfutent cette lecture de la conquête de l’Amérique. Si des affrontements ont bien eu lieu, «il n’y a jamais eu le souhait d’exterminer une race de la part des conquistadors, notamment parce que ceux-ci avaient besoin de main-d’oeuvre», répond Carlos Martínez Shaw, membre de l’Académie royale d’histoire espagnole. L’expédition visait avant tout à trouver des ressources pour assurer la prospérité de l’empire. Son collègue Santiago Muñoz, auteur d’un livre sur l’expansion espagnole, a une position bien plus tranchée sur la question: «Il n’y a aucune raison de se repentir, aucun motif de condamnation. C’est une agression culturelle que d’enlever les monuments qui évoquent le souvenir de Christophe Colomb.» L’adjoint d’une localité proche de Madrid, Isidoro Ortega López, dénonce la tentation du révisionnisme historique sur le site d’El País.
Côté américain, on se montre plus mesuré. Steve Hackel, professeur d’histoire à l’Université de Californie, évoque un personnage controversé qui a asservi des centaines d’autochtones mais n’a jamais été l’auteur d’un génocide. Le spécialiste regrette par ailleurs que la statue ait été enlevée «presque en secret et sans débat». Seule voix dissonante: l’historien britannique Roger Crowley qui voit en Christophe Colomb le «père fondateur du génocide dans le Nouveau Monde».
La statue déboulonnée dépasse le stade de l’anecdote. L’an dernier, Los Angeles a également supprimé la fête fédérale du Christophe Columbus Day célébrée depuis 1937. Elle a été remplacée, comme dans de nombreux Etats américains, par une journée consacrée aux peuples indigènes. En 2017, le maire de New York, Bill de Blasio, avait évoqué la possibilité de supprimer la statue de Christophe Colomb. Face à la colère de la communauté italienne, il avait proposé d’ajouter une plaque explicative sous le monument controversé. Un rétropédalage pour ne pas diviser en pleine campagne électorale.
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