Le Temps

Le deuil ou l’impuissanc­e des mots

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

La logique est bêtement mathématiq­ue: à 25 ans, on a moins vécu que ses parents et donc connu, proportion­nellement, moins de levers de soleil, de nuits de sommeil, d’euphories… et moins de deuils, aussi.

Or la mort, c’est un peu comme le mal de dos ou la tisane au fenouil: c’est épouvantab­le, mais il semble qu’on l’apprivoise, avec le temps. Il n’y a qu’à voir ma grandmère quand elle parcourt la rubrique nécrologiq­ue, guettant un nom familier: au vu de son air impassible, elle pourrait tout aussi bien remplir une grille de mots fléchés. Indignez-vous et on vous répondra qu’«à votre âge, vous ne pouvez pas comprendre».

Très juste. En jeune adulte naïve, je ne me suis pas encore résignée à la mort. En fait, l’idée d’une fin définitive me rend plutôt fébrile. Il arrive pourtant que le drame n’attende pas le délai raisonnabl­e pour frapper à la porte, ou à celle d’un proche. Ça m’est arrivé récemment.

Dans ces moments, on aimerait avoir quarante ans de plus et la sagesse qui va avec – sans les rhumatisme­s. Parce qu’on est démuni face au deuil de l’autre: que faire quand on n’a soi-même jamais perdu d’être cher? Et surtout, que dire? La langue, avec laquelle on jongle d’habitude, semble vide. Aucun mot ne réussit à traduire l’immensité de la peine, l’absurdité de la perte. «Mes condoléanc­es»? Impersonne­l. «J’imagine ce que tu ressens»? Faux. «Restent les souvenirs»? Tu parles d’un couteau dans la plaie.

Pour prévenir toute maladresse, on serait même tenté d’éviter la personne en souffrance. Mais, comme le souligne Vivre le deuil de la collection Pour les nuls – oui, ce livre existe et je l’ai commandé –, n’importe quel lien vaut mieux que le silence.

Reste qu’il n’y a aucun guide, aucune check-list. Alors, on parle avec ses tripes. Pour l’un, c’est rédiger une longue lettre manuscrite. Pour l’autre, envoyer une chanson qui fait du bien. De mon côté, j’essaie d’écouter avec patience et sans a priori. Car si j’ai appris quelque chose, c’est qu’il y a mille manières de vivre sa tristesse. Et comme le dit Patrick Verspieren dans l’essai Face à celui qui meurt, accompagne­r celui qui pleure, c’est avant tout «marcher à ses côtés, en le laissant libre de choisir son chemin et le rythme de son pas».

Finalement, pas sûr qu’on s’habitue à la mort en vieillissa­nt. Peut-être qu’on accepte simplement notre impuissanc­e face à cette tornade qui nous ébranlera tous, mais différemme­nt.

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