A Londres, le jour le plus long
Malgré une séance parlementaire mouvementée, la première ministre britannique contourne les obstacles un à un. Le gouvernement a donné son aval au projet d’accord avec l’Union européenne
Un punching-ball. Comme dans une salle d’entraînement de boxe, Theresa May, debout au milieu de la Chambre des communes ce mercredi, semblait servir à recevoir les coups envoyés de toutes parts. Pour les questions hebdomadaires au parlement, la première ministre britannique a été attaquée violemment, encaissant sans broncher. L’accord qu’elle a annoncé mardi soir sur le Brexit semble faire l’unanimité contre lui. Et pourtant, comme un punching-ball, Theresa May reste à sa place, au centre du jeu, comme remontée sur des ressorts.
Son unique chance est d’être frappée par deux camps opposés qui se détestent et veulent le contraire: d’un côté, les brexiters ardents qui rêvent de larguer les amarres de l’Union européenne; de l’autre, les opposants au Brexit qui militent pour un deuxième référendum. Entre les deux, Theresa May incarne cet impossible équilibre. Diminuée, elle avance quand même, pas à pas. Après l’accord annoncé mardi avec l’Union européenne, que beaucoup disaient impossible, elle s’est attelée à convaincre son propre gouvernement. Le Conseil des ministres, prévu pour durer trois heures, s’est éternisé pendant cinq heures, preuve de débats houleux. La colère des ministres en faveur du Brexit était telle que l’hypothèse d’une motion de défiance contre Theresa May dès ce jeudi était évoqué avec insistance.
Finalement, Theresa May a émergé dans la soirée sur le perron de Downing Street et a pu déclarer: «La décision collective du gouvernement est de soutenir l’accord.» Elle reconnait des débats «longs et passionnés», sait que «des jours difficiles» l’attendent, mais elle a franchi une
«La décision collective du gouvernement est de soutenir l’accord»
THERESA MAY
étape de plus. Et elle lance un avertissement clair à ses deux groupes d’opposants: «Cet accord est dans l’intérêt national […] ou sinon, nous risquons de partir sans accord, ou sans Brexit du tout. »
Elle devait ensuite publier le texte de l’accord, qui est resté jusque-là confidentiel. Puis commencera un marathon parlementaire, qui doit se conclure d’ici à Noël sur la ratification – ou pas – du texte à la Chambre des communes.
Le spectacle des députés ce mercredi prouve qu’il sera très difficile d’obtenir une majorité. Les critiques venaient bien sûr de l’opposition travailliste. Mais dans le dos de Theresa May, les conservateurs persiflaient et attaquaient également, sans même faire semblant de soutenir ou de respecter leur leader.
Attaques
Comme le veut la tradition, la première attaque est venue de Jeremy Corbyn, le patron des travaillistes. «Ce gouvernement a passé deux ans à négocier pour nous ramener un mauvais accord, laissant le pays dans un entre-deux éternel, et il pense qu’il peut nous imposer un faux choix, entre ce mauvais accord et pas d’accord.» Juste après est arrivé Peter Bone, député conservateur, brexiter devant l’éternel: «Est-ce que la première ministre sait qu’elle n’apporte pas le Brexit pour lequel les gens ont voté? Aujourd’hui, elle a perdu le soutien de nombreux députés conservateurs et de millions de personnes à travers le pays.» Julia Lopez, une députée conservatrice, a renchéri: «[Avec cet accord], nous ne pourrons pas avoir notre propre politique commerciale. Est-ce le prix à payer [pour le Brexit]?» s’indignet-elle. Puis, une autre députée travailliste a réclamé au contraire de nouvelles élections ou un deuxième référendum. Pendant les quarante minutes des questions hebdomadaires, pas un député n’a trouvé un mot positif pour soutenir l’accord.
Si les détails de l’accord ne sont pas connus, ses grandes lignes sont claires. Le Royaume-Uni va rester dans l’union douanière européenne après le Brexit. En clair, le pays continuera à appliquer les mêmes tarifs douaniers que le reste de l’UE. Cela signifie qu’il ne pourra pas signer d’accord de libre-échange avec le reste du monde, ce qui enrage les brexiters. Le Royaume-Uni va aussi devoir continuer à s’aligner sur les régulations européennes, alors qu’il n’aura plus son mot à dire lors de leurs négociations. De quoi en faire un pays «vassal», estiment les brexiters.
Derrière ces critiques, Theresa May a cependant obtenu des concessions importantes. Le Royaume-Uni va sortir du marché unique européen, et donc de la libre circulation des personnes. Cette avancée majeure était l’une des principales revendications des Britanniques lors du référendum, qui voulaient réduire l’immigration européenne. «C’est un bon accord, affirme sur la BBC Rory Stewart, secrétaire d’Etat à la Justice. Cela nous permet de contrôler notre immigration tout en conservant des liens commerciaux sans friction avec l’Europe pour nos biens industriels.»
«Sauter de la falaise»
A l’écouter, son compromis serait donc la seule solution possible, qui respecte le vote démocratique du référendum sans mettre le pays économiquement à genoux. Comme le punching-ball, Theresa May se sert de la force des coups des deux camps pour rebondir.
Il est loin d’être certain que cela suffise. Les conservateurs n’ont pas la majorité absolue et le vote de ratification se jouera à quelques voix près. Mais la première ministre britannique a prouvé à plus d’une reprise sa capacité à rebondir, malgré tout.
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