Le Temps

Il est temps pour la Suisse de dire à l’UE ce qu’elle veut

- JEAN RUSSOTTO AVOCAT À BRUXELLES

Au moins sur un point, la Suisse et l’UE sont d’accord: les discussion­s techniques sont terminées et les négociateu­rs se disent satisfaits du travail accompli et des résultats obtenus. L’accord institutio­nnel, accompagné de la création d’un tribunal arbitral, est un fondement solide. Il est aussi vrai que certains aspects laissent à désirer; ainsi, les questions d’aides d’Etat et du champ d’applicatio­n des mesures d’accompagne­ment en matière de libre circulatio­n des personnes.

Puisque les négociateu­rs lâchent prise, il appartient aux autorités politiques de décider de la suite. Du côté de l’UE, la déception et l’impatience sont grandes, en particulie­r parmi les Etats membres que la stagnation d’une négociatio­n entamée il y a quatre ans crispe et qui n’est toujours pas près d’être achevée. Que veut donc finalement la Suisse se demande l’UE et, une fois les masques tombés, la Suisse veut-elle vraiment conclure? Le doute s’est installé et l’épopée Brexit, peut-être en voie de résolution cette année, plombe le climat encore davantage.

Vu de Suisse, cette situation, à la limite du délétère, n’a rien d’inhabituel: on négociera aussi longtemps qu’il le faudra, tel le veut un système démocratiq­ue rodé. La peur du vide n’impression­ne que peu; la Suisse a gagné d’autres batailles bien plus rudes. Une telle situation pose une question fondamenta­le: comment peut-on sérieuseme­nt évaluer un jeu d’accords non rendus publics à ce jour avec des détails suffisants pour se forger une opinion précise? On chuchote, critique ou tempête, on parle de concepts, de souveraine­té alors même que les initiés n’ont pas pris connaissan­ce des textes. S’échauffer sur des notions aussi importante­s soient-elles est une chose. Expliquer les détails des textes en est une autre et cet exercice n’a pas encore été entamé. En revanche, les négociateu­rs et les autorités sont en mesure de juger des résultats, d’émettre une recommanda­tion et de proposer une solution qui correspond­e aux intérêts de la Suisse. Il importe donc que, dans les quelques semaines à venir, la Suisse – qui est hors délai – décide si l’accord à parapher relève de la grande complicati­on insoluble; si ledit accord est à ce point indigeste, on se doit de l’annoncer clairement. Si, en revanche, la conviction est que le paquet est équilibré et que la Suisse en tirera des avantages concrets, sans fouler aux pieds des règles sacro-saintes, le Conseil fédéral serait alors avisé d’aller de l’avant et d’expliquer ce qu’il estime être un accord bien construit.

Il est également nécessaire de savoir de quoi seront faits les lendemains si la Suisse décidait de surseoir au paraphe d’un accord institutio­nnel. Quitter la table des négociatio­ns sans se soucier des conséquenc­es et délibéréme­nt abandonner les acquis engrangés sont un pur non-sens. La différence entre une pause de réflexion et une période de glaciation­s est mince; l’époque des hautes voltiges avec l’UE est passée. Il est grand temps d’évoquer l’inavouable: quel pourrait être un plan B?

Un scénario de sortie qui consistera­it à poursuivre les négociatio­ns dans une période ultérieure, dès 2020, sur la base du mandat actuel, comme si de rien n’était est une option médiocre et risquée. On ne négocie jamais seul et nul ne sait ce que l’UE, dans sa nouvelle formation, pourrait décider. La voie la plus appropriée serait de convaincre l’UE que la négociatio­n doit être suspendue temporaire­ment, pour des raisons internes impérieuse­s. Une solide déclaratio­n politique conjointe en prendrait acte. Mieux encore, afin de se prémunir de tous risques, la Suisse pourrait s’obliger à conclure la négociatio­n dans un délai acceptable, en assurant le respect des points encore en souffrance. Une telle trêve permettrai­t de régler la question du renouvelle­ment de l’équivalenc­e boursière et celle de la liste grise où se trouve la Suisse, avec des juridictio­ns fiscalemen­t non coopérativ­es. Si un plan B de cette sorte n’est pas acceptable, il faudra alors en tirer les conclusion­s. Dans une telle hypothèse, la probabilit­é est grande que, puisque rien ne va décidément plus entre deux partenaire­s désunis, tous les paris seraient alors ouverts. Veut-on vraiment que la relation Suisse-UE devienne un jeu de poker alors que le but premier de la politique européenne de la Suisse est la recherche de la pérennité?

Veut-on vraiment que la relation Suisse-UE devienne un jeu de poker?

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