Le Temps

Et tous votaient Macron

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Ils auraient tous aimé le rencontrer. Lui présenter leurs projets. Echanger, en 2018, sur les meilleures manières de réinventer la paix et l’aide humanitair­e. Au Forum de Paris sur la paix qui s’est achevé mardi, Emmanuel Macron a tenu la vedette sans partage. Une prestation méritée, après son émouvant (et juste) discours prononcé dimanche matin sous l’Arc de triomphe, devant la tombe du soldat inconnu et plus de 70 chefs d’Etat ou de gouverneme­nt présents. Une prestation qui, surtout, dit les espoirs inquiets de la communauté internatio­nale des activistes, des médiateurs, des diplomates et des disciples du multilatér­alisme… Emmanuel Macron, donc, fut le point de ralliement, malgré la colère post-cérémonie du président serbe, furieux d’être moins bien placé que son homologue du Kosovo. Ralliement contre Donald Trump évidemment, d’où la foudre vengeresse déclenchée le lendemain sur Twitter par ce dernier. Ralliement contre Viktor Orban, grand absent européen de la cérémonie du centenaire et caricature de cette Europe nationalis­te arc-boutée sur son passé (à savoir, pour la Hongrie, l’obsession des Accords de Trianon de juin 1920). Ralliement contre ces régimes «illibéraux» qui restreigne­nt les espaces de liberté et d’action pour les organisati­ons issues de la société civile. Macron superstar? Oui. Et pour cause: «Il pense juste. Il connaît la complexité du monde. Il s’exprime en anglais. Il se bat pour la souveraine­té européenne. Il fait preuve de courage. Franchemen­t, pourquoi la presse ne le soutient-elle pas davantage?» s’interroge devant nous Alain Délétroz, directeur général de l’Appel de Genève, l’une des initiative­s retenues par le forum pour figurer, au milieu d’une cinquantai­ne d’autres, dans son «hall de la paix» dans la grande halle de la Villette. Réponse, cher Alain (contribute­ur régulier des pages Opinion du Temps): parce que les médias observent le président français sous ses deux facettes, domestique et mondialisé­e. Le public jeune du forum, engagé pour les grandes causes internatio­nales, familier des soutes de la mondialisa­tion et connecté jusqu’à la lie, ne voit, lui, que l’activisme global du chef de l’Etat. Sans mesurer la fragilité de l’édifice politique du macronisme face aux colères des territoire­s, des retraités, des «gilets jaunes» et autres «Gaulois réfractair­es aux réformes»…

A cette première édition du Forum de Paris sur la paix, puis dans les couloirs de l’Unesco où se tenait le Forum sur la gouvernanc­e de l’internet qui s’est achevé mercredi, l’adhésion au macronisme procédait en fait de la logique. Vers qui d’autre se tourner coté web? Angela Merkel, chancelièr­e presque déchue, est l’égérie de l’industrie automobile allemande. Theresa May n’avait pas fait le déplacemen­t dominical. Vladimir Poutine, poli au point de venir s’égarer brièvement au Forum sur la paix, utilise une armée de hackers et de trolls pour infester les réseaux et y harceler ses ennemis. Xi Jinping, lui, a fait de son intranet une muraille de Chine bien plus effective que celle érigée pour se protéger jadis des invasions mongoles. Oui, qui d’autre que le quadragéna­ire digital de l’Elysée pour faire encore rimer disruption et numérique?

On peut poursuivre le raisonneme­nt, mais il fait mal. En un an et demi de pouvoir, Emmanuel Macron s’est incontesta­blement hissé au premier rang des dirigeants mondiaux. Sa défense passionnée de l’Accord de Paris sur le climat signé en novembre 2015 a marqué les esprits. Mais à examiner tout cela de plus près, son bilan internatio­nal ne mérite peut-être pas de telles louanges. Son élan communauta­ire patine face aux populismes. Le manque de moyens financiers de l’UE paralyse toute possibilit­é pour les Européens de s’interposer entre l’Iran et les Etats-Unis. Les ventes d’armes françaises à Riyad ont vite scellé le sort d’une possible contestati­on de la dynastie saoudienne au pouvoir. Sans parler des migrants, sujet sur lequel Emmanuel Macron a, lors de sa tournée dans l’est et le nord de la France, promis à un ancien combattant de «continuer le travail» pour mieux fermer les frontières.

Reste la force de l’image. Incontesta­ble. Incomparab­le. Emmanuel Macron est bien en cela l’héritier de Barack Obama de ce côté-ci de l’Atlantique. Il sait trouver les mots pour défendre l’ONU. Il aime s’entourer d’universita­ires et d’experts. Il écoute. Il dissèque. Il disserte. Les diplomates, avec leur art de négocier les compromis les plus acrobatiqu­es et de disserter dans une langue châtiée, plaisent à ce banquier féru de littératur­e, qui fit son stage de l’ENA à l’ambassade de France au Nigeria. Macron n’est pas seulement l’avocat du multilatér­alisme. Il en est la vitrine, version Davos. Que certains de ses homologues, plus portés sur le coup de poing que sur le verbe fin, se plaisent à caillasser…

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