Et tous votaient Macron
Ils auraient tous aimé le rencontrer. Lui présenter leurs projets. Echanger, en 2018, sur les meilleures manières de réinventer la paix et l’aide humanitaire. Au Forum de Paris sur la paix qui s’est achevé mardi, Emmanuel Macron a tenu la vedette sans partage. Une prestation méritée, après son émouvant (et juste) discours prononcé dimanche matin sous l’Arc de triomphe, devant la tombe du soldat inconnu et plus de 70 chefs d’Etat ou de gouvernement présents. Une prestation qui, surtout, dit les espoirs inquiets de la communauté internationale des activistes, des médiateurs, des diplomates et des disciples du multilatéralisme… Emmanuel Macron, donc, fut le point de ralliement, malgré la colère post-cérémonie du président serbe, furieux d’être moins bien placé que son homologue du Kosovo. Ralliement contre Donald Trump évidemment, d’où la foudre vengeresse déclenchée le lendemain sur Twitter par ce dernier. Ralliement contre Viktor Orban, grand absent européen de la cérémonie du centenaire et caricature de cette Europe nationaliste arc-boutée sur son passé (à savoir, pour la Hongrie, l’obsession des Accords de Trianon de juin 1920). Ralliement contre ces régimes «illibéraux» qui restreignent les espaces de liberté et d’action pour les organisations issues de la société civile. Macron superstar? Oui. Et pour cause: «Il pense juste. Il connaît la complexité du monde. Il s’exprime en anglais. Il se bat pour la souveraineté européenne. Il fait preuve de courage. Franchement, pourquoi la presse ne le soutient-elle pas davantage?» s’interroge devant nous Alain Délétroz, directeur général de l’Appel de Genève, l’une des initiatives retenues par le forum pour figurer, au milieu d’une cinquantaine d’autres, dans son «hall de la paix» dans la grande halle de la Villette. Réponse, cher Alain (contributeur régulier des pages Opinion du Temps): parce que les médias observent le président français sous ses deux facettes, domestique et mondialisée. Le public jeune du forum, engagé pour les grandes causes internationales, familier des soutes de la mondialisation et connecté jusqu’à la lie, ne voit, lui, que l’activisme global du chef de l’Etat. Sans mesurer la fragilité de l’édifice politique du macronisme face aux colères des territoires, des retraités, des «gilets jaunes» et autres «Gaulois réfractaires aux réformes»…
A cette première édition du Forum de Paris sur la paix, puis dans les couloirs de l’Unesco où se tenait le Forum sur la gouvernance de l’internet qui s’est achevé mercredi, l’adhésion au macronisme procédait en fait de la logique. Vers qui d’autre se tourner coté web? Angela Merkel, chancelière presque déchue, est l’égérie de l’industrie automobile allemande. Theresa May n’avait pas fait le déplacement dominical. Vladimir Poutine, poli au point de venir s’égarer brièvement au Forum sur la paix, utilise une armée de hackers et de trolls pour infester les réseaux et y harceler ses ennemis. Xi Jinping, lui, a fait de son intranet une muraille de Chine bien plus effective que celle érigée pour se protéger jadis des invasions mongoles. Oui, qui d’autre que le quadragénaire digital de l’Elysée pour faire encore rimer disruption et numérique?
On peut poursuivre le raisonnement, mais il fait mal. En un an et demi de pouvoir, Emmanuel Macron s’est incontestablement hissé au premier rang des dirigeants mondiaux. Sa défense passionnée de l’Accord de Paris sur le climat signé en novembre 2015 a marqué les esprits. Mais à examiner tout cela de plus près, son bilan international ne mérite peut-être pas de telles louanges. Son élan communautaire patine face aux populismes. Le manque de moyens financiers de l’UE paralyse toute possibilité pour les Européens de s’interposer entre l’Iran et les Etats-Unis. Les ventes d’armes françaises à Riyad ont vite scellé le sort d’une possible contestation de la dynastie saoudienne au pouvoir. Sans parler des migrants, sujet sur lequel Emmanuel Macron a, lors de sa tournée dans l’est et le nord de la France, promis à un ancien combattant de «continuer le travail» pour mieux fermer les frontières.
Reste la force de l’image. Incontestable. Incomparable. Emmanuel Macron est bien en cela l’héritier de Barack Obama de ce côté-ci de l’Atlantique. Il sait trouver les mots pour défendre l’ONU. Il aime s’entourer d’universitaires et d’experts. Il écoute. Il dissèque. Il disserte. Les diplomates, avec leur art de négocier les compromis les plus acrobatiques et de disserter dans une langue châtiée, plaisent à ce banquier féru de littérature, qui fit son stage de l’ENA à l’ambassade de France au Nigeria. Macron n’est pas seulement l’avocat du multilatéralisme. Il en est la vitrine, version Davos. Que certains de ses homologues, plus portés sur le coup de poing que sur le verbe fin, se plaisent à caillasser…
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