Le Temps

Moscou menace de bouder le Forum économique mondial de Davos

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU t @_zerez_

Vexé par l’exclusion présumée de trois hommes d’affaires russes, le Kremlin envisage de ne pas envoyer de délégation dans la station grisonne cette année. Derrière l’unité de façade, les sanctions américaine­s creusent les divergence­s entre les oligarques et le Kremlin

Tout ou rien. Le gouverneme­nt russe menace de boycotter le Forum de Davos (WEF) en janvier prochain si certains grands patrons russes devaient être interdits de participat­ion. Le premier ministre Dmitri Medvedev fait ainsi monter les enchères alors que la menace de nouvelles sanctions américaine­s se profile pour les prochaines semaines.

«Personne n’ira là-bas. Attendons de voir», a déclaré un Medvedev défiant mardi soir à la télévision russe, en marge d’un sommet sur la Libye à Palerme. Davos «renierait ses racines» en excluant des hommes d’affaires russes, juge de son côté le porte-parole du Kremlin. Ce serait la première fois qu’une délégation boycottera­it le prestigieu­x rendez-vous annuel de l’élite internatio­nale. Le Forum de Davos est assidûment fréquenté par les barons de l’économie russe, avides d’y nouer de nouveaux contacts.

Le Financial Times avait avancé la semaine dernière que les milliardai­res russes Oleg Deripaska, Viktor Vekselberg et le directeur de la banque d’Etat VTB Andreï Kostine avaient été placés sur une liste noire les empêchant de participer à Davos. Le résultat de pressions américaine­s, estimait alors le quotidien britanniqu­e. Le WEF s’est refusé à tout commentair­e, a indiqué mercredi l’agence AFP.

En avril de cette année, les trois hommes d’affaires ont en effet été placés par Washington sur une liste noire de cent individus interdits d’entrée sur le territoire américain et avec lesquels les citoyens américains se voient défendus d’entretenir des liens d’affaires.

Divisions entre milliardai­res et pouvoir russes

La solidarité affichée du Kremlin avec les milliardai­res permet de masquer les divisions existantes sur la politique étrangère russe, qui nuit aux affaires d’innombrabl­es entreprise­s et à l’économie russe dans son ensemble. L’un des objectifs des sanctions américaine­s, imposées à cause d’interféren­ces supposées dans les élections américaine­s et de l’annexion de la Crimée, est précisémen­t de peser sur le monde des affaires, pour que ses représenta­nts tentent à leur tour d’infléchir la politique de puissance choisie par Vladimir Poutine.

Pourtant, en dépit des sanctions et de la réticence croissante des banques occidental­es à travailler avec les grandes fortunes russes, leur nombre continue de croître. La Russie compte cette année cinq milliardai­res de plus (75 au total) qu’en 2017, selon un rapport de Credit Suisse publié fin octobre. La banque souligne que l’inégalité de la répartitio­n des richesses continue de se creuser en Russie, puisque les 10% les plus riches détiennent 82% des richesses. Soit un des niveaux les plus élevés du monde, supérieur à celui des Etats-Unis (76%).

Fuite des capitaux triplée

Les disparités sociales accentuées, ajoutées à une stagnation de l’économie et à la détériorat­ion des relations entre Moscou et l’Occident, ravivent un sentiment d’insécurité parmi les possédants. Ce qui se traduit par une nouvelle envolée de la fuite des capitaux. La Banque centrale de Russie a annoncé lundi que quelque 42 milliards de dollars devraient avoir quitté le pays cette année, soit trois fois plus qu’en 2017.

L’économiste en chef à la banque d’Etat russe VEB Andreï Klepatch, cité par l’agence Interfax, estime lui que ce chiffre pourrait dépasser les 60 milliards de dollars à la fin de l’année. Ceci en dépit des efforts déployés par le Kremlin pour obliger les grandes fortunes à rapatrier leurs capitaux.

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