Le Temps

Les géants de la Silicon Valley devront passer à la caisse

- JÉRÔME MARIN, SAN FRANCISCO @JeromeMari­nSF

Les entreprise­s du secteur de la tech de San Francisco s’opposent à la nouvelle taxe devant financer des programmes d’aide aux sans-abri

A San Francisco, le débat n’avait jamais été aussi vivace. Pendant des semaines, la communauté high-tech s’est déchirée au sujet de sa responsabi­lité sociale pour lutter contre la crise des sans-abri qui touche l’autoprocla­mée capitale mondiale de l’innovation. Mardi 6 novembre, les électeurs y ont apporté une première réponse: à 60%, ils se sont prononcés en faveur de la Propositio­n C, qui instaure une nouvelle taxe sur les grandes entreprise­s de la ville californie­nne.

Cet impôt supplément­aire doit permettre de financer l’ouverture de centres d’hébergemen­t, la constructi­on de logements sociaux et la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiatri­ques. Il pourrait rapporter jusqu’à 300 millions de dollars par an, ce qui doublerait le budget actuelleme­nt alloué par la municipali­té pour ses programmes d’aides.

Pauvreté omniprésen­te

Dans leur grande majorité, les sociétés high-tech avaient pris parti contre cette initiative populaire. Elles soulignaie­nt l’opposition de plusieurs élus locaux, dont celle de la maire, London Breed. Elles assuraient également que la taxe ne résoudrait pas les problèmes. Et, même, qu’elle risquait de les accroître en attirant de nouveaux sans-abri dans la ville.

«Que faites-vous pour trouver une solution?» leur avait rétorqué Marc Benioff, le patron de Salesforce, principal partisan de la Propositio­n C. San Francisco compte plusieurs dizaines de milliardai­res et affiche un taux de chômage de 2,4%. Pourtant, la pauvreté est présente à tous les coins de rue du centre-ville. Selon les statistiqu­es officielle­s, 7500 personnes sont sans domicile fixe, dont 1300 enfants.

«Cadeaux de la mairie»

«Il y a des gens dans cette ville qui veulent donner et d’autres qui ne veulent pas. Ils souhaitent juste amasser de l’argent, le conserver et le regarder», s’emporte Marc Benioff. L’indignatio­n est d’autant plus grande qu’une partie des entreprise­s s’opposant à cette taxe bénéficien­t depuis 2011 d’importante­s déductions de charges obtenues auprès du précédent maire après avoir menacé de s’installer ailleurs.

En 2012, la municipali­té avait ensuite accepté de modifier la méthode de calcul des impôts locaux, sur une base qui était plus favorable à ces sociétés. «Ce qu’elles vont devoir payer aujourd’hui n’est qu’une petite partie de ce qu’elles auraient dû payer sans les cadeaux de la mairie», note un observateu­r.

Le débat sur la responsabi­lité sociale des groupes de la Silicon Valley n’est pas nouveau. Il s’était déjà posé en 2014 au moment de la contestati­on contre la hausse des loyers. Plusieurs entreprene­urs et investisse­urs avaient alors réclamé au secteur high-tech de se montrer plus généreux. Tout en s’opposant systématiq­uement à toute hausse des impôts. «Ils sont tellement généreux qu’ils veulent bien reverser une toute petite partie de ce qu’ils économisen­t sur leurs impôts», ironise notre interlocut­eur.

«La philanthro­pie ne suffit plus»

«A un moment, la philanthro­pie ne suffit plus», ajoute Marc Benioff, qui assure que «la ville n’a pas assez d’argent pour faire face à la situation actuelle». Récemment, la municipali­té lui aurait demandé un don de 8 millions de dollars afin d’ouvrir un centre d’accueil. Car malgré la richesse de la région, les finances publiques sont en effet dans le rouge.

San Francisco n’est pas un cas isolé. A Seattle, la crise des sansabri avait conduit les élus locaux à instaurer une taxe annuelle de 275 dollars par salarié pour les principaux employeurs de la ville. Votée à l’unanimité en mai, la loi a été abrogée à peine un mois plus tard par le même Conseil municipal. Sous la pression d’Amazon, dont le fondateur, Jeff Bezos, est désormais l’homme le plus riche du monde.

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